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Pouvoir, autorité et influenceurs dans les démocraties du XXI ème siècle, quel essor, quels risques, quel avenir ? par Guy Malherbe, ancien député de l’Essonne.

Le 28 septembre 2023
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Les récentes émeutes ont suscité de nouvelles polémiques sur le thème de la « perte « de l’autorité et la nécessité de la restaurer, mais comment faire dans nos démocraties du XXI eme siècle où interviennent de nombreux influenceurs souvent radicaux, dont l’essor est incertain et avec quel risque pour la démocratie. Seront-ils, demain, les détenteurs du pouvoir et de l’autorité en formant un gouvernement invisible. Seul l’avenir le dira. (1)

Depuis la Nouvelle Calédonie, lors de son interview aux journaux de la mi-journée de TF1 et France 2, l’une des leçons que le chef de l’Etat a voulu tirer de ces émeutes c’est « le besoin d’un retour de l’autorité à tous les niveaux ». « L’ordre, l’ordre, l’ordre « a martelé le Président. C’est donc sur l’ordre et l’autorité, deux priorités remontées en flèche dans les sondages, que le Président s’est exprimé, en soulignant que l’ordre a été rétabli « en quatre jours, grâce à un dispositif inédit, sans prendre de mesures restrictives de libertés », en comparaison avec les émeutes de 2005 suivies de la mise en place de l’état d’urgence qui est un exercice de pouvoir.

##. D’abord, il faut distinguer : pouvoir et autorité.

Généralement il est fait une confusion entre pouvoir et autorité ce qui obscurcit la capacité d’analyse et qu’il faut dissiper. Il existe pourtant des critères simples. Le pouvoir admet la contrainte et exige en démocratie que celle-ci soit encadrée dans son ampleur et ses méthodes par le droit. C’est pourquoi on parle d’Etat de droit ou que l’on dit que « force doit rester à la loi ».

 

L’autorité est une forme d’influence reconnue comme légitime et admise sans qu’elle ait besoin de s’imposer par la force.

La confusion fait que souvent les appels à restaurer l’autorité sont en fait des appels à accroître le pouvoir de contrainte de la puissance publique, ou des parents. Alors, où se situe le juste dosage du recours « au monopole de la contrainte légitime « qui concerne le dosage du pouvoir et non celui de l’autorité qui exclue par définition la contrainte car elle est une forme d’influence reconnue comme légitime et admise sans qu’elle ait besoin de s’imposer par la force.

Cette légitimité de l’autorité a longtemps pu être de nature familiale, religieuse ou traditionnelle, mais elle tend à s’effacer dans la modernité démocratique, même si cela a été plus prégnant dans certains contextes et certains domaines, celui de l’Education, l’autorité du maitre, ou celui de la santé, l’autorité du médecin.

Aujourd’hui, dans d’autres registres les formulations impératives diffusées par les médias et que nous suivons sans pour autant craindre de représailles en cas de non-respect sont devenues légions: des conseils de nutrition « mangez, bougez », « manger au moins cinq fruits par jour », de santé contre les additions « fumer, tue », « l’abus d’alcool peut-être dangereux «  ou les addictions aux jeux « les jeux d’argent peuvent être dangereux » par temps de forte chaleur « buvez, fermez vos fenêtres , ne pas sortir… », pour inviter à la sobriété énergétique « 19° degrés dans votre logement », etc….

Si longtemps, les individus en position de pouvoir et d’autorité étaient de fait les mêmes, les institutions politiques, le père de famille, les parents, le maître d’école, le médecin, et se trouvaient en position d’obtenir de force, par le pouvoir, ce qu’ils pouvaient aussi obtenir souvent de gré, par influence, par autorité. Aujourd’hui, ces rôles sont désormais découplés et une complexité contemporaine se niche dans les faits dans la relation entre les personnes. De très nombreux influenceurs apparaissent sur les réseaux sociaux, et ont un effet sur le comportement d’autres individus sans avoir aucune possibilité de contrainte en quoi que ce soit. Ainsi, les détenteurs du pouvoir et de l’autorité, institutions, parents n’ont plus que la contrainte qu’elles peuvent exercer sur les personnes pour agir sur elles, dans le strict respect du cadre légal.

D’un côté, si le couple droit – pouvoir est une dimension inévitable de la vie sociale même démocratique, d’un autre côté, il ne peut être le seul ordinaire des interactions entre les individus sauf à se trouver dans une situation critique et éruptive. L’autorité, au fond, doit être ce qui fluidifie la vie sociale, quand elle « fonctionne » en réduisant la contrainte effective à l’exception car celle-ci ne peut être la règle. Qu’attend-on aujourd’hui du pouvoir et/ou de l’autorité ? Où se situe le bon dosage ?

##. Dans le contexte de nos démocraties qu’attend-on du pouvoir et / ou de l’autorité ?

Pour certains la modernité condamne l’autorité dans le domaine politique en sapant les piliers de la religion et de la tradition qui l’étayait mais qu’il faut la maintenir dans le domaine éducatif. Pour d’autres, nous vivons désormais dans un nouveau monde, soit un univers où les compromis entre tradition et modernité ne peuvent plus avoir cours.

Nous assistons au relâchement permissif du système de règles traditionnelles qui régissaient autrefois les relations entre le pouvoir, l’autorité des institutions et des autres détenteurs de cette autorité. A côté de ce code ancien, qui est encore cultivé dans certains milieux, on voit apparaître une multitude de codes alternatifs, opposés à la tradition au point de nourrir des controverses contradictoires avec d’autres mouvements radicaux.

La tendance a pester contre la perte de l’autorité par rapport aux temps jadis ou à rêver du retour à l’autorité qui régnait avant, « c’était mieux avant », devrait donc en bonne logique s’accompagner d’éléments plus pratiques pour garantir la crédibilité de ce projet qui impliquerait un renoncement à certains aspects de la modernité démocratique. Il y a fort à penser que les déclarations d’intention fracassante, si nombreuses dans ce registre, provoqueraient un vif débat.

Si l’autorité ne peut être restaurée dans sa forme traditionnelle, peut-elle laisser la place au règne du pouvoir de contraindre, avec la seule régulation du droit, ou faut-il apprendre à penser désormais l’autorité dans la démocratie comme un mode vie plus encore qu’un régime politique, mais où se situe le bon dosage entre autorité et droit ? Aujourd’hui, sans doute, il faut tenir compte de deux éléments massifs dans le monde occidental où nous vivons en ce début de XXIème siècle et qui souvent sont oubliés minorés ou passé sous silence.

Le premier est l’individualisme démocratique, déjà repéré au XIXème siècle par Tocqueville. Les individus agissent plus par quête de leur bien être singulier que par fidélité à quelque tradition ou devoir collectif, et c’est une donnée dont la réflexion sur la vie sociale doit aussi partir. Le philosophe y voyait non seulement la cause du mépris des traditions et des formes, mais aussi la source des excès qui naissent inévitablement de tout élan immodéré : dans une société obnubilée par l’égalité, de petites inégalités légitimes et inévitables peuvent être jugées aussi insupportables que le serait un grain de sable dans une chaussure sur mesure qui épouse parfaitement le pied de son porteur.

Le deuxième est le fait du pluralisme pour comprendre nos sociétés démocratiques contemporaines. Il est vain d’espérer que tous les individus de sociétés libres et ouvertes partagent les mêmes valeurs et idéaux de vie, il faut donc organiser entre eux une coexistence pacifique et juste.

La prise en compte de ces deux éléments invite à repenser l’autorité comme une proposition d’influence formulée par une institution ou un individu et à laquelle un autre consent, sans contrainte, ce qui implique d’une part qu’elle doit pouvoir être perçue, ressentie et vécue par les individus auxquels elle est adressée comme un point d’appui et non un obstacle vers leur bien-être. D’autre part, il ne saurait, dans une société pluraliste, y avoir un seul modèle d’autorité pensable en bloc, mais plutôt une infinité de nuances dans les manières de s’approprier ce type de relation individuelle auxquelles les réseaux sociaux offrent une opportunité de diffusion universelle. C’est ainsi que des stratégies d’influence se développent pour atteindre de larges segments de population et qu’apparaissent des influenceurs dans la sphère du politique pour exprimer le pouvoir et l’autorité avec d’autres moyens. Notre époque voit se former un nouvel espace public numérisé et globalisé accessible à la foule et dont les perspectives sont incertaines.

##. Du pouvoir, de l’autorité mais qui les détient, alors qu’apparaît dans les démocraties du XXI eme siècle avec la communication d’influence de masse de nouveaux prédicateurs des temps modernes ?

Grâce au très rapide développement du numérique, un nouvel espace public se forme et se mondialise. L’espace public dans lequel intervenait le pouvoir et l’autorité ne coïncide plus avec les relations institutionnelles, famille, religion, école, médecine. Il y a, d’une part, une foule parfois irrationnelle, impulsive, violente et, d’autre part, un public, un auditoire d’internautes lecteurs actifs et abonnés des réseaux sociaux sur lequel la foule prend un ascendant en transformant ces réseaux en un outil de communication d’influence avec ses prédicateurs des temps modernes que sont les influenceurs.

Après le religieux, après le politique, l’influenceur des réseaux sociaux deviendrait il le prédicateur des temps modernes. Le prédicateur religieux était investi par une institution, l’Eglise, le prédicateur politique était investi par le suffrage, le prédicateur influenceur est investi par son auditoire d’internaute et d’abonnés issus de la foule à laquelle il s’adresse régulièrement par le biais des réseaux sociaux pour leur porter une parole pouvant aborder tous les sujets de la société.

Cette communication d’influence est un secteur porteur qui grandit sans arrêt depuis une dizaine d’années. Et si ce secteur se développe bien, c’est grâce aux jeunes qui utilisent les réseaux sociaux comme loisirs mais aussi comme moyen d’information. D’après des études récentes menées par l’IFOP et le CEPIVOP en 2019 et 2021, les réseaux sociaux sont la première source d’information des 18-34 ans, ils sont 45% à s’informer via ce média, contre 7% dans la presse écrite.

Ce nouveau prédicateur influenceur, c’est qui, c’est quoi ? C’est une personne qui, grâce à son exposition sur internet, a une influence sur les internautes qui le suivent et sur leurs décisions ou leurs opinions, par la propagande.

Cette personne partage des contenus, principalement des photos et vidéos, avec sa communauté sur les réseaux sociaux ou les plateformes vidéos : Instagram, TikTok, Twitch et YouTube. La clé de la réussite consiste à créer une grande proximité avec les abonnés afin de créer un sentiment d’appartenance, pour les séduire, et créer le désir de le rejoindre et d’adhérer à son message par sa propagande. Ils fonctionnent sur l’identification à leur personne, bien plus que sur l’adhésion à un programme politique.
A ce jour, 10 influenceurs politiques ont été identifiés comme les plus populaires, mais ils sont bien plus nombreux.

On y trouve : HugoDecrypte avec 4,5 millions d’abonnés sur YouTube, où le journaliste Hugo Travers, 24 ans, arrose avec ses 13 salariés les réseaux de résumés d’actualités en moins de dix minutes. En 2019, il décroche, à la veille des élections européennes une interview, seul et en direct du Président de la République. Il ajoute des pages Instagram, des vidéos TikTok et des émissions spéciales sur Twitch.

Tatiana Jarzabek, alias Tatiana Ventose, analyste engagée avec le mouvement des ronds- points décrypte les décisions politiques pour informer ses 293 600 abonnés sur YouTube et Instagram. Elle a cocree unJT hebdomadaire sur YouTube aux analyses tranchantes. Au second tour de la présidentielle de 2022, elle s’est rangée derrière Marine Le Pen.
Thinkerview avec 1,2 millions d’abonnés organise des émissions débats sur YouTube. Acropolis, (jean Massier) 245 000 abonnés, pionnier sur Twich en 2015 après l’attentat contre Charlie Hebdo a lancé son émission en commentant en direct les débats à l’Assemblee. Il veut toucher ceux qui n’aiment pas la politique. Il est un ancien collaborateur de la ministre de la santé, Marisol Touraine. Il a reçu notamment Sandrine Rousseau, Cédric Villani et Barbara Pompili.

Mais, on pourrait y ajouter : Papacito et Ben&Cigar, qui ont soutenu Eric Zemmour, Usul, soutien de Jean-Luc Mélenchon, qui déconstruit les discours de l’extreme droite, mais aussi Thaïs d’Escufon, Osons Causer, Bolchegeek. Sur YouTube, une litanie d’influenceurs politiques a investi la plateforme avec succès, et, parfois, également d’autres réseaux sociaux. Ils vont pouvoir investir Threads, un nouvel espace rival de Tweeter qui vient de s’ouvrir pour que les gens puissent tenir des conversations. Sept heures après son lancement l’application a récolté 10 millions d’utilisateurs.

Mais la politique ce n’est pas seulement donner envie, c’est de convaincre. Et pour cela il faut connaître sa cible et utiliser les codes des gens visés. Il faut savoir écouter sa cible. Aussi, de nombreux politiques deviennent eux-mêmes des influenceurs et préfèrent communiquer sur ces médias pour adresser les messages qu’ils choisissent. C’est le cas de Jean Luc Mélenchon et sa chaîne YouTube avec ses 600 000 abonnés, Eric Zemmour et ses 300 000 abonnés ou Emmanuel Macron et ses 230 000 abonnés. Cela leur permet de s’adresser à leur cible sans passer par les questions d’un journaliste, mais ils ne touchent pas de nouvelles personnes. Jean Luc Mélenchon a, également, su utiliser TikTok: 600 000 abonnés, 12,4 millions de « J’aime » et la reconnaissance de nombreux Tiktokers.

Avec les influenceurs, la politique prend-elle un bain de jouvence ? Les influenceurs en politique ne sont-ils pas le meilleur moyen d’atteindre les jeunes ? Des jeunes qui votent peu : en 2017, au premier tour des législatives, 64% des moins de 35 ans n’a pas voté, et pour les régionales de 2020 ce fut un nombre record de 80% d’abstentionnistes, contre 67% des Français en moyenne.

Plus que jamais, la présidentielle de 2022 a vu l’influence et les influenceurs intervenir dans les débats, ce fut un support de choix pour les candidats pour envoyer des messages à la jeunesse, part de la population qu’ils atteignent le moins par les canaux traditionnels, et la remobiliser avec des retombées médiatiques plus larges qu’un énième meeting. Une partie des plus importants influenceurs politiques se sont rangés derrière les candidats extrêmes, Eric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon, ou encore Marine Le Pen. S’il est difficile de mesurer l’impact que peuvent représenter ces soutiens pour un scrutin, ce qui est sûr, c’est que tous les candidats ont cherché à avoir leur attention en apparaissant sur leur chaîne.

Pourquoi les politiques s’adressent-ils a des personnes extérieures à la politique pour communiquer ? Les influenceurs sont-ils devenus le passage obligé des gouvernants ? Les politiques sont presque devenus des influenceurs à l’ancienne, mais ils ont compris l’interêt des réseaux sociaux.

Obama s’était entouré de la personnalité de George Clooney, François Hollande de Yannick Noah au grand meeting du Bourget, Nicolas Sarkozy de Faudel, exemple de réussite professionnelle et d’intégration pour sa campagne de 2017. Ce qui change, c’est que les influenceurs sont les nouvelles célébrités.

En 2012, Le chef de l’Etat dans le bureau de l’Elysée a participé à un concours d’anecdotes sur la chaîne YouTube des deux stars McFLY et Carlito. Emmanuel Macron avait promis qu’il ferait ce jeu avec eux si ces derniers relevaient un défi : faire la promotion et vanter les mérites des gestes barrières qui dépasse les 10 millions de vues, moins de 24 heures après, le nombre de vues était déjà de 8,2 millions et ils ont atteints les 10 millions quelques jours suivants. Pour les remercier, ils ont pu prendre place dans un avion de la patrouille de France et survoler les Champs Elysées le 14 juillet.

Parfois, l’utilisation des influenceurs est plus subtile : c’était le cas par exemple de l’appel de Jean Castex au youtoubeur Gaspard G pour rassurer les jeunes lors de la pandémie. L’objectif officiel était de servir l’interêt de l’Etat et de protéger de la Covid-19. Un autre cas est à étudier, c’est celui de Gabriel Attal et son émission « #SansFiltre », où il invite des jeunes influenceurs dont EnjoyPhoenix, youTubeuse, pour défendre la réponse sanitaire du Gouvernement ou par sa présence très fréquente sur Twitch avec son Live.

La réforme des retraites a suscité une contestation massive de la part des influenceurs, à coups de stories, de tweets et retweets, de prises de position revendicatives de partage des caisses de grève,et de soutien aux manifestations. De nombreux influenceurs, dont certains célèbres, ont communiqué sur le sujet : Sulivan Gwed, Nota Bene, Seb la Frite, Grim, EnjoyPhoenix, Freddy Gladieux, à travers leurs stories sur Instagram, et leurs tweets. Les abonnés les plus jeunes attendaient des influenceurs qu’ils ne soient pas que dans la diffusion de contenus, mais qu’ils s’engagent réellement, sérieusement. Le cas d’Inoxtag, Youtubeur aux plus de 6 millions d’abonnés illustre bien cette pression populaire. Après avoir annoncé par tweet ne pas prendre de position politique le 20 mars, il le supprime le lendemain et publie trois nouveaux tweets pour dire : « On doit être solidaire et je m’excuse de ne pas avoir pris la peine de m’informer correctement. Je suis de votre côté et s’Il faut partager des tweets ou cagnotte pour les grévistes je le ferai, j’essayerai de me rendre utile maintenant ».

Pour la rentrée scolaire 2023, le youtubeur Hugo Travers qui anime la chaîne « Hugo décrypte », avec ces 2 millions d’abonnés a interrogé le Président de la République dans une interview consacrée à « l’avenir des jeunes » après que le gouvernement a annoncé une série de réformes pour transformer l’école. Les thèmes abordés ont porté sur la santé mentale, l’environnement, les inégalités ou encore l’Education. Hugo Travers avait déjà mené une série d’interview lors de la présidentielle de 2022 en recevant tous les candidats.

##. Quel sera l’essor et la sincérité de ces influenceurs de masse demain face à un public actif et exigeant ?

Utiliser l’influence en politique sur des réseaux numériques n’est pas si nouveau que ça. Déjà, en 1996, le FN est le premier parti à se doter d’un site internet. Pas si étonnant, donc, de voir autant d’influences politiques à l’extreme droite, tant cette dernière s’est très tôt servie des outils numériques. Si c’est particulièrement vrai pour l’extreme droite, l’extreme gauche a, elle aussi, rapidement investi internet. Sur YouTube, une litanie d’influenceurs politiques a investi la plateforme avec succès et, parfois, d’autres réseaux sociaux. Si leurs idéologies sont différentes ils présentent un point commun : assumer une certaine radicalité politique. Si à l’extreme gauche et à l’extreme droite les influenceurs sont nombreux, ils sont plus rares à être proches de partis plus au centre de l’échiquier politique. Les mouvances extrêmes ont une défiance plus importante que la moyenne contre les médias traditionnels. Comme elles ont tendance à ne pas y être représentées, les extrêmes trouvent des espaces alternatives pour informer ou véhiculer leurs idées. A défaut des JT de 20 heures, ces mouvements se sont tournés vers des blogs, des forums, puis les réseaux sociaux pour contourner les médias traditionnels.

Pour des spécialistes des réseaux de communication : on est vraiment très basiquement dans du marketing politique. Il permet de segmenter les personnes en âge de voter et de s’adresser à eux avec les médias qui sont les plus pertinents, les plus légitimes. Les influenceurs se font les porte- voix de discours qui les dépassent mais ils sont écoutés religieusement, et font bénéficier de leur notoriété, alors que ça ne devrait pas l’être.

Au vu des dynamiques électorales, le succès des influenceurs radicaux n’est pas déconnecté du réel. Si on regarde les résultats du premier tour de la présidentielle de 2022, LFI, PCF, FN et Reconquête rassemblent la moitié des voix, ce qui laisse à penser qu’il y a une audience pour ces discours et ces réseaux. En plus, dans l’ensemble, ce sont ces candidats et partis qui ont des scores particulièrement élevés chez les jeunes. Les influenceurs et leurs outils de communication semblent bien correspondre aux usages de cet auditoire qui représente un électorat important. Leur sur-présence sur les réseaux sociaux permet aux influenceurs de connaître l’opinion générale de leur communauté. Ils veulent également être au plus près de la réalité et des contraintes de vie de leurs abonnés pour créer plus de la proximité, de lien social et d’interaction surtout pour ceux qui sont présents sur Twich qui permet d’interagir directement avec le tchat.

L’organisation rationnelle de la propagande à l’échelle numérique rendue possible par internet et les réseaux sociaux conduit à penser qu’il est désormais envisageable de fabriquer l’opinion par une perfusion à l’ensemble de l’auditoire des réseaux sociaux par l’entremise de quelques influenceurs.

Toutefois des chercheurs en sciences politiques, posent la question pour certains influenceurs, de la sincérité de leur engagement et y voient dans certains cas de l’opportunisme, un effet de mode avec des prises de position jugées peu développées et simplistes par leur formulation pour satisfaire à minima leurs abonnés. Cette observation a été faite lors du débat sur la réforme des retraites.

Pour d’autres observateurs la question se pose de savoir qui agit sur qui ? Les influenceurs façonnent ils l’opinion ou rencontrent-ils une écoute parce que la société est déjà préalablement politiquement radicalisée. ? Ils considèrent qu’il peut y avoir une interaction avec des causes exogènes provenant des crises politiques, comme la réforme des retraites, ou économiques et sanitaires comme la Covid-19 qui ont particulièrement échauffées les esprits et favorise l’expression d’un mécontentement. Un mécontentement amplifié par les réseaux sociaux et le numérique qui permet de propager les messages des influenceurs clivants plus rapidement que les autres. Ces messages clivants entraînent des réactions positives et négatives dont les algorithmes des plateformes sont friands. Conséquence, les réseaux sociaux qui mettent en avant des contenus radicaux et qui favorisent l’engagement des utilisateurs en viennent à sur-recommander les influenceurs radicaux.

##. La surexposition des influenceurs radicaux peut-elle présenter un risque pour la démocratie ? Faut-il être inquiet à la perspective de voir la foule radicale imposer son pouvoir, son autorité comme le fait social dominant ?

Le XIXème siècle a été celui de l’avènement des masses. Désormais, la conduite des affaires publiques suppose une politique de masse qui voit l’instauration du suffrage masculin, dit universel. Mais ses premières applications ne sont pas rassurantes. L’élection présidentielle française de 1848 montre que des millions de citoyens depuis peu élevés au rang d’électeurs font aussitôt usage de leur nouveau droit de vote pour approuver le retour au régime autoritaire en élisant dès le premier tour, par une victoire écrasante, Louis Napoléon Bonaparte. Hippolyte Taine, en conclut en 1875, « Dix millions d’ignorances ne font pas un savoir. Un peuple consulte peut dire à la rigueur la forme de gouvernement qui lui plait, mais non celle dont il a besoin ».

Le phénomène de sur-représentation fait qu’être dans l’opposition politique est un avantage dans l’espace numérique. Être dans l’opposition permet d’être dans l’humour, la dénonciation et la dérision voire la radicalité et donc d’avoir le soutien d’influenceurs, ce qui est plus difficile pour les partis traditionnels dont le discours est plus consensuel, classique, « politiquement correct « et juge ennuyeux au point que les porteurs de ce discours ne rencontrent pas le soutien d’influenceurs et même parfois sont écartés des plateaux des médias. Ainsi, en matière politique, les influenceurs radicalisés sont rarement au centre de l’échiquier politique, ce qui conduit à une invisibilité des partis traditionnels dans ce domaine de communication et dans la tranche d’âge de leurs auditeurs.

Cette sur-représentation et sur- recommandation des idées radicales peuvent-elles influencer les responsables politiques et les conduire à surestimer la part des citoyens qui ont une opinion radicale, alors que le barycentre de la société invisible serait beaucoup moins radical. La présence de ce biais peut avoir des conséquences majeures sur le bon fonctionnement de la démocratie représentative. Celle-ci repose sur l’idée que les élus sont à l’écoute des citoyens, ce qui signifie qu’ils s’efforcent généralement de promouvoir des initiatives politiques conformes aux préférences de la population. Or, si l’idée que se font les responsables politiques de ce que pense le public est biaisé par la sur- représentation des influenceurs radicaux, la chaîne de représentation politique s’en trouve affaiblie. Ainsi, si les citoyens sont moins radicaux que ce que les élus perçoivent, l’offre politique risque d’être moins optimale et peut avoir des implications plus larges, telle que la désaffection du système croissante à l’égard de la démocratie et des institutions démocratiques.

Dans son livre Toxic Data, David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS, pointait un autre problème démocratique posé par cette radicalisation, dont les influenceurs politiques sont un relais « la radicalisation entraîne une rupture du dialogue, qui reste, néanmoins, difficile à évaluer. Mais cela participe à une montée du mépris qu’on peut porter pour les autres citoyens qui ne pensent pas comme nous ». Il conclut sur un ton laconique : « On ne parle plus à des adversaires, mais à des ennemis ». Ainsi, faut-il être inquiet à la perspective de voir la foule radicale s’imposer comme le fait social dominant. Les nouveaux moyens de communication et les influenceurs peuvent-ils exceller dans la radicalisation idéologique et l’embrigadement des auditeurs internautes ?

Les influenceurs ont une vraie liberté de parole, ce qui fait leur succès, car leurs abonnés vont pouvoir s’identifier à leurs propos totalement spontanés et décomplexés. Le milieu social d’origine de nombreux influenceurs peut aussi expliquer leurs engagements. Internet étant un milieu assez récent, il est propice à l’émergence de transfuges de classe observent des spécialistes.

La limite à cet engagement politique et radical peut- il venir des Youtubeurs, eux-mêmes, car celui-ci peut représenter un risque pour leur notoriété. Prendre une position politique trop engagée peut être mal vue par leur communauté et être critiquée. Anissa, influenceuse sur TikTok et Instagram, qui a lancé le mouvement #MeTooAnimation, afin de dénoncer les violences sexuelles dans le secteur des colonies de vacances, dit avoir incité les gens qui la suive à aller voter. Mais, précise t’elle « pas pour une personne en particulier ». Elle a invité les jeunes à s’intéresser à la politique et à leur avenir parce que c’est leur avenir et celui de leur pays. Parmi les Youtubeurs comme dans le reste de la société, certains pratiquent le non-engagement pour ne pas se faire coller une étiquette et prendre le risque de perdre de leur notoriété, des abonnés et des contrats. Plus leur notoriété est importante, plus les influenceurs ont tendance à rester prudent dans leurs engagements politiques.

Pour Nota Bene, créateur de contenu tourangeau aux 2,2 millions d’abonnés sur YouTube, il lui semble naturel de manifester à titre personnel contre la réforme des retraites et le 49.3, mais être Youtubeur ou influenceur c’est un vrai métier dit-il. Il est chef d’une entreprise avec 12 salariés et entre 25 et 40 auteurs qui travaillent pour lui à l’année, c’est toute une économie qu’il protège par un non-engagement politique.

Aussi, les influenceurs qui souhaitent sortir du silence face aux sujets politiques prennent souvent le poul de leur communauté avant de décider.
Alors, faut -il croire à la limite de la toute puissance des influenceurs : c’est le discernement de leur communauté et des individus qui les guide. La capacité des individus à se dire « c’est bien « ou « ce n’est pas bien ». Il est permis de penser que les Youtubeurs donne des idées dans le débat public, dans cette grande agora citoyenne et commerciale que sont les réseaux sociaux. Mais que ce n’est pas unilatéral. Sinon on serait dans des logiques complètements sectaires, fanatiques et ça serait presque effrayant.

##. Alors, les influenceurs et Youtubeurs seront-ils, demain, les détenteurs du pouvoir et de l’autorité, formeront-ils un gouvernement invisible qui dirigera le pays ? Seul l’avenir le dira.

En 1928, le publicitaire, et donc influenceur, Edward Bernays, neveu de Freud dans son ouvrage Propaganda écrivait : « la manipulation consciente et intelligente des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays ».

L’avenir nous dire si la place faite à la numérisation, aux réseaux sociaux, aux influenceurs, à la force des passions populaires, à la radicalisation affecte le pouvoir, l’autorité, l’ordre et favorisera la tyrannie des foules ou si ces formes modernes de communication pacifieront à l’usage l’opinion ? A moins que l’autorité légitime du pouvoir ne suffisant pas celui-ci agisse par la contrainte et fasse en sorte que dans le cadre de l’Etat de droit, « force doit rester à la loi », comme la commission d’enquête du Sénat le propose au Gouvernement en envisageant la suspension de l’application TikTok en France au nom de la sécurité. Apparemment, les sénateurs inquiets de l’influence que peut avoir cette application sur l’opinion publique et la jeunesse, n’ont pas été convaincus sur l’inexistence de liens entre la filiale française, sa maison mère et le Parti communiste en Chine où l’Etat de droit n’est qu’une illusion.

(1) Sources :

Publications du journal L’Opinion, Revue Commentaire, divers articles publiés en ligne par Challenges, Findly, Radio France, Influence4You, France3 Régions, le jdd, Numera, Le Vif, journal des lycées, YouTube, Lynkedin, Le Monde, TF1 info, Le Point, Le Figaro, Jupdlc, Les Échos, La Grande conversation, Gnitekram , La Vie.