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« Conseil d’État. Souveraineté et démocratie »par Guy MALHERBE

Le 13 mars 2024
Guy MALHERBE, Ancien député

Et pour traiter ce sujet le Conseil a fait appel à un professeur de droit public et de droit constitutionnel, Anne LEVADE, un philosophe, Andre COMTE-SPONVILLE , un maire , Jean François CARON , maire de Loos-en Goehelle (Pas de Calais) et une députée des Hauts de Seine , rapporteur de la commission d’enquête sur les ingérences de puissances étrangères., Constance LE GRIPP.



Pour André COMTE- SPONVILLE, la souveraineté fait l’objet de débat mais pas seulement, elle fait aussi l’objet de questionnements en France et dans de très nombreux pays. Il observe que déjà Tocqueville avait eu le pressentiment de cette crise de confiance en soulignant que l’homme n’obéit qu’avec une extrême répugnance à son voisin qui est son égal en refusant de lui connaître des qualités supérieures aux siennes et voit avec jalousie son pouvoir et sa justice. Ainsi, l’égalisation des conditions, loin de produire de la confiance, tendrait à susciter une forme de méfiance. Si rien ne me garantit que mon voisin est supérieur, pourquoi lui obéir ? Défiance et jalousie vont de pair.

 Aujourd’hui, le taux de participation aux élections s’érode, les citoyens manifestent une méfiance envers la chose publique, des tensions apparaissent entre le collectif et l’individu. On relève une méfiance à l’égard de la justice pourtant les recours au juge administratif ne cessent d’augmenter depuis 40 ans sur des sujets nouveaux comme l’environnement, on note aussi des questionnements sur l’état de droit. La question se pose aussi du niveau auquel la souveraineté doit s’exercer, est-ce celui de l’Etat, de la Région, ou des collectivités territoriales et de quelle façon : représentation, démocratie participative, référendum, tirage au sort.


Des courants populistes et souverainistes s’expriment, mais au non de quel peuple s’expriment t’ils ? Certainement pas au non, des non populistes et des non souverainistes qui existent aussi et proposent autre chose. Il entend dire que le peuple Corse revendique un régime d’autonomie pour la gestion politique de son territoire, mais il pose la question de savoir : c’est qui le peuple corse ? De quel droit, une section du peuple, en l’occurrence Corse peut-il s’attribuer l’exercice d’une fraction de la souveraineté nationale en l’Etat actuel de la loi fondamentale, de la Constitution.

Le philosophe rappelle que la souveraineté nationale est définie par l’article 3 de notre Constitution qui dit : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice », et que l’article 2 dit auparavant : « son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. »

Pour le philosophe, la souveraineté c’est le pouvoir. C’est le pouvoir suprême dans un territoire, un pouvoir qui s’impose en droit à tous les citoyens de ce territoire. Le souverain fait la loi qui s’impose à tous. Mais qui est le souverain ? Dieu dans les théocraties, le roi dans les royautés, le peuple dans les républiques, selon ROUSSEAU, et pour être souverain le peuple doit être indépendant, indépendant politiquement, un peuple soumis n’est pas indépendant et ne peut pas être souverain. Mais le citoyen est aussi sujet. Chaque citoyen membre a le droit de suggérer, de proposer, il détient une part de la souveraineté, mais en tant que sujet, il doit obéir à 100 % à loi commune. Un citoyen français détient 1/ 40 millionième de la souveraineté mais il est sujet de droit à 100 % et doit donc obéir à 100%.
Pour le philosophe, il n’y a pas de loi fondamentale immuable. Le Congrès vient d’inscrire l’IVG dans la Constitution pour donner des garanties supplémentaires aux femmes, mais rien n’empêche au peuple souverain de vouloir modifier la Constitution demain, ou après-demain, en sens inverse, soit par la voie de la démocratie représentative réunie en Congrès, soit par la voie du référendum. Certains d’ailleurs prône une VIe république et envisagent le jour où ils auront le pouvoir de proposer au peuple une nouvelle constitution, une nouvelle loi fondamentale par la voie du référendum, expression de la souveraineté du peuple.


Pour Anne LAVADE, on rentre dans une nouvelle ère de la souveraineté, cela ressemble à une nouvelle mode, une vague nouvelle. Souveraineté, le terme est très utilisé aujourd’hui : il faut être souverain dans de nombreux domaines. Le sujet de la souveraineté a pris une acuité particulière dans le débat public. Aujourd’hui, le mot souveraineté se voit accolé de nombreux qualificatifs qui lui donnent de nouvelles dimensions : souveraineté numérique, industrielle, énergétique, culturelle, alimentaire, agricole, industrie pharmaceutique. Le mot apparaît même dans le titre de certains ministères qui s’accaparent une partie de la souveraineté : Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Pourtant, pour leur boisson favorite et royale, le thé, les anglais sont totalement dépendants des pays producteurs de cette plante, ce qui n’empêche pas l’Angleterre d’être une grande démocratie.
Par ailleurs, et pour d’autres, la souveraineté serait en danger, il faut la protéger et redonner au peuple la souveraineté dont il aurait été dépossédé. Des fantasmes nouveaux apparaissent : la représentation serait une menace, l’Europe aussi, les juges et la justice également, or la justice est rendue au nom du peuple. La représentation serait confisquée au détriment du peuple. Une méfiance apparaît à l’égard des juges nationaux et européens, méfiance aussi à l’égard du politique. Certains opposent droit et politique, pour certains le politique pourrait s’assoir sur le droit. Or, dans une démocratie, c’est le politique qui a, et doit avoir, la primauté sur le droit. L’état de droit protège la démocratie et le citoyen. Aujourd’hui, le politique est construit sur du temps long, or le citoyen veut de l’immédiateté, du temps court. Le citoyen demande de la protection quitte à ce qu’elle se substitue à la liberté. Le citoyen est prêt à perdre de sa liberté pour être protégé, une évolution dangereuse. Jusqu’où peut-on perdre des libertés pour sa protection, sans risquer de mette à mal la démocratie et la souveraineté du peuple indépendant. Notre pays a vécu de 2015 à 2021 en État d’urgence à la suite des attentats de 2015 et de la pandémie de la Covid en 2020, en vertu de lois votées par le Parlement. La représentation nationale a conféré au Gouvernement des pouvoirs exceptionnels pour faire face à des situations exceptionnelles durant lesquelles les libertés furent affaiblies car il fallait agir vite et fort. C’était pour la bonne cause, pourtant les mesures prises pour lutter contre la Covid avec la vaccination et le pass sanitaire ont déclenché une vague de manifestations contestataires car jugées attentatoires aux libertés individuelles .

Pour le maire ,Jean Christophe CARON, nous sommes dans un nouvel imaginaire de développement qui se dessine, mais nous sommes encore dans le brouillard. Nous sommes dans un monde de transition sociétale. On ne changera pas les modes alimentaires par des lois et des règlements, de même que la mobilité des citoyens.
Le numérique modifie les savoirs et les relations du savoir existantes. Il n’est plus possible de gouverner le peuple de la même manière qu’avant. Il faut refaire société, rétablir le dialogue entre les citoyens et les institutions politiques. Le citoyen délègue l’intérêt général a l’Etat, et lui s’occupe lui. Le citoyen dit aujourd’hui « Je veux » sans se préoccuper de l’intérêt général. Le citoyen consomme des services publics. Il faut faire participer le citoyen, mais la participation sans responsabilisation est « un piège à con ». Dans la démocratie participative, il faut éviter qu’elle ne soit que le reflet de quelques personnes engagées, d’associations, de groupes de pression qui mobilisent, de personnes qui ont le savoir et le savoir-faire de la communication au détriment du citoyen moins averti de la chose publique ou du sujet. Le tirage au sort, c’est le hasard, il n’est pas plus représentatif de la sociologie, du pluralisme des opinions, des compétences, des qualités. C’est la négation de la politique. Peut-on confier à un groupe tiré au sort le soin de prendre des décisions pour l’ensemble des citoyens. Non.

Pour la députée, Constance LE GRIPP, nos démocraties et notre souveraineté sont menacées par des ingérences étrangères qui engagent des actions pour les détruire de l’intérieur, pour déstabiliser et saper la confiance dans l’Etat, le Parlement, la Justice, en manipulant les informations, par la captation de personnes, par des cyber attaques menées contre des administrations, des collectivités, des hôpitaux, des entreprises.
La France est exposée à des agressions ou tentatives de déstabilisations protéiformes émanent de l’étranger, visant à infléchir ses positions, à connaître ses intentions ou encore à voler ses savoirs faites. Ces ingérences sont aujourd’hui le fait de la Chine et de la Russie. Pour lutter contre ces ingérences, les services de renseignement et la puissance publique activent des dispositifs d’entrave qui sont des techniques de renseignement, diplomatiques, des sanctions pénales, des mesures de protection du potentiel scientifique et industriel.


L’Assemble nationale va examiner une proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France et à renforcer les dispositifs existants.

Le mot de la fin peut être celui du maire . Rien ne peut remplacer l’élection qui demande de consacrer un dimanche à aller voter dans un bureau de vote à la mairie, en passant par l’isoloir, pour choisir et élire un candidat et lui confier un mandat pour le représenter et s’exprimer en son nom par délégation dans une institution politique.