« LES RAVAGES DE LA FASCINATION AUTORITARISTE EN POLITIQUE » par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne
La montée en puissance de propos autoritaristes tenus par les responsables politiques dans le monde entier et symbolises sur les réseaux sociaux devraient éveiller des inquiétudes et rappeler des souvenirs.
La fascination pour l’autoritarisme en politique est un phénomène récurrent et inquiétant, surtout en période de crise économique, sociale ou identitaire, ou encore de guerre. Cette attirance peut avoir des conséquences profondes sur les institutions, les libertés individuelles, la cohésion sociale et les relations internationales.
Il est des mots qu’on croyait relégués aux marges de l’Histoire : autorité sans contrepoids, pouvoir sans limite, chef incontesté, justice contestée. Et pourtant, c’est mots reviennent en force. Partout dans le monde, la fascination pour l’autoritarisme regagne du terrain. Elle se glisse dans les discours, s’affiche dans les urnes, se banalise dans les esprits. À mesure que le doute s’installe dans la démocratie, l’homme fort ou la femme forte séduit à nouveau.
Mais que cherche-t-on vraiment derrière ce mirage ? L’ordre ? La simplicité ? Une revanche ? Cette nostalgie dangereuse a un coût , il était levé : l’effacement progressif des libertés, l’appauvrissement du débat public, la rupture du lien social.
1. Le poison, c’est l’affaiblissement des institutions démocratiques.
L’un des premiers effets de la montée de l’autoritarisme et la mise à mal des contre-pouvoirs : justice, presse libre, oppositions politiques, syndicats. Le dirigeant autoritaire les considère souvent comme des obstacles à son action, plutôt que comme les piliers du fonctionnement démocratique. Avec pour conséquences des réformes de la justice pour en prendre le contrôle, la restriction de liberté de la presse, l’usage du décret pour court-circuiter le Parlement. Cette défiance envers les institutions démocratiques crée un climat où le pouvoir personnel devient plus valorisé que le jeu démocratique.
2. C’est aussi, la culture du chef providentiel.
Le scénario est bien rodé: un pays traverse des crises, politiques, économiques, sociales, identitaires. Alors surgit la promesse d’un chef « qui agit », « qui décide », « qui n’a pas peur de casser les codes ».. L’autoritarisme séduit par la promesse d’un homme fort ou d’une femme forte, capable de faire ce que les autres n’osent pas faire, souvent au mépris des institutions et des règles accusées d’impuissance. On confond efficacité est brutalité, autorité et autoritarisme. On oublie que le respect de la règle n’est pas un obstacle à l’action, mais sa condition. Le culte du chef s’accompagne d’un rejet du débat, de la complexité et du compromis. Avec pour conséquence la polarisation extrême de la société, l’infantilisation des citoyens, l’adhésion à des décisions arbitraires par pur réflexe de loyauté.
Ce culte du chef providentiel est une démission civique. Il décharge le citoyen de sa responsabilité collective, le prive du droit de contredire et fini par infantiliser toute une société. À force de croire qu’un seul peut tout résoudre, on abandonne le sens même de la démocratie : la délibération, le désaccord, la co-construction, le compromis.
3. C’est également, la réduction des libertés individuelles.
Les régimes autoritaristes ont tendance à restreindre les libertés d’expression, de manifestation, d’association. Cette régression est souvent justifiée au nom de l’ordre, de la sécurité ou de l’intérêt national, Avec des lois répressives, des interdictions de manifestation et une surveillance de masse favorisée aujourd’hui par les nouvelles technologies.
4. C’est toujours, la désignation de boucs émissaires.
Pour asseoir le pouvoir, les leaders autoritaristes désignent souvent des groupes comme responsables des problèmes du pays : oppositions politiques, minorités ethniques ou religieuses, immigrés, élite intellectuelle, journalistes, etc. Les conséquences peuvent être délétères : division de la population, montée de la haine, violences, discriminations institutionnalisées.
5. C’est encore, l’érosion de la pensée critique.
L’autoritarisme flatte les réflexes, pas la réflexion. Il promet des solutions simples à des problèmes complexes, souvent en désignant un ennemi : les élites , le fonctionnaire, le journaliste, l’intellectuel, le pauvre, l’étranger.
L’autoritarisme prospère sur l’émotion, la peur, le ressentiment. Il valorise la fidélité au détriment de la compétence et s’appuie sur la propagande puissante pour moduler l’opinion. Le résultat est une société où la pensée complexe est suspecte, ou la contradiction est vue comme une trahison, ou l’ignorance devient un outil politique.
Dans ce climat, le critique devient suspect, le doute devient faiblesse, l’indépendance devient trahison. Peu à peu la presse est contrôlé, les contre-pouvoirs affaiblis, la justice encadrée. Les citoyens, anesthésiés, s’habituent à ne plus choisir , ils acclament.
6. C’est enfin, l’instabilité à long terme.
Les régimes autoritaristes se présentent souvent comme les seuls garants de l’ordre. Mais cet ordre est précaire : il repose sur la peur, la censure, la répression. Ce n’est pas un ordre civilisé, mais un ordre imposé. Même si les régimes autoritaires peuvent donner une illusion de stabilité à court terme, ils génèrent souvent des tensions latentes. L’absence de dialogue et de consensus peut conduire à des explosions sociales, des dérives violentes ou à des transitions chaotiques. Ce silence imposé finit toujours par craquer : les sociétés qui étouffent la parole finissent par exploser.
Ainsi, contrairement à ce qu’on croit, l’autoritarisme n’apporte pas la stabilité. Il nourrit la colère souterraine, la défiance. Il produit des institutions faibles, car soumises. Il laisse derrière lui des cicatrices profondes.
7. En Europe, le vieillissement de la population est un facteur structurel de cette dérive autoritaire.
En 2025, Plus de 20 % de la population européenne a plus de 65 ans. La population âgée (+65 ans) devrait atteindre 30 % en 2050 dans plusieurs pays (Italie, Allemagne) . Le ratio actifs/ retraités passe de 4,5 en 1980 à environ 2,5 aujourd’hui, pesant sur les systèmes socio-économiques. La participation électorale des jeunes (18-35 ans) est en moyenne inférieur à 50 %, contre plus de 70 % chez les + 60 ans.
Ainsi, l’électorat est majoritairement âgé et conservateur. L’électorat sénior porte majoritairement des partis conservateurs, sécuritaires, ou populistes, auprès desquels les discours résonnent davantage, exemple : vote massif des retraités pour le rassemblement national en France ou pour la Lega et les Frères d’Italie, en Italie. Ce groupe d’électeurs privilégie un État fort perçu comme protecteur, un ordre social plus rigide, des politiques de sécurité renforcée, des contrôles migratoires, la préservation des prestations sociales et des acquis sociaux. Il adhère moins aux projets progressistes.
Les jeunes électeurs, plus progressistes ouverts sur les questions sociétales et sociales, égalité, mobilité sociale, et environnementales, sont minoritaires dans les urnes. Ces votes conduisent à une polarisation accrue entre générations : jeunes sous représentés, seniors surreprésentés.
Ce vote conservateur a des effets institutionnels et démocratiques.
La demande politique se tourne vers des politiques plus verticales, des mesures sécuritaires et restrictives sous prétexte de stabilité sociale. Cela favorise l’émergence ou la consolidation de régimes semi autoritaires ou illibéraux (Hongrie, Pologne), où les gouvernements exploitent les craintes liées à la crise démographique.
Il a pour conséquence une réduction progressive des espaces de participation citoyenne et de contestation, notamment face a la montée des populismes sécuritaires. Et entraîne une diminution des contre-pouvoirs démocratiques, au profit d’exécutif renforcés.
Quelques exemples :
Hongrie : + de 20 % de + 65 ans. Le Premier ministre revendique lui-même un modèle de démocratie illibérale avec des restrictions pour les médias, la justice, les universités et le droit à manifester. Réécriture de la Constitution pour renforcer l’exécutif. Mesures hostiles aux ONG.
Mesures contre les militants LGBT
Pologne : vieillissement marque. Le parti national conservateur PIS a modifié les institutions pour contrôler le Conseil constitutionnel et ses juges.
Lois sécuritaires et attaques contre l’indépendance de la justice. Loi restreignant le droit à l’avortement. Criminalisation des militants LGBT
Italie : 23 % de + 65 ans. Montée de la Lega, et des Frères d’Italie de Georgina Meloni.
Discours identitaire, révisionniste et mesures sécuritaires. Attaques contre les ONG humanitaires. Réduction des droits sociaux pour les minorités et les migrants. Création d’un centre de rétention pour migrants en Albanie.
Allemagne : 20 % de + 65 ans. Progression très forte de l’extrême droite (AFD) Surtout dans l’ex Allemagne de l’Est. Engagement d’une politique moins favorable à l’immigration. Instauration de contrôles migratoires à la frontière avec la Pologne.
France : 20 % de + 65 ans. Renforcement du vote RN chez les seniors, durcissement sécuritaire et sur l’immigration, fortes crispations sur la réforme des retraites. Pénalisation de certains délits, politique pénale plus sévère à l’égard des mineurs. Construction de prisons.
Ainsi, si le vieillissement démographique du corps électoral en Europe ne provoque pas à lui seul une dérive autoritaire il est bien un facteur structurel qui pèse sur la trajectoire démocratique européenne. Il fausse les priorités politiques en faveur d’un ordre établi et d’un État central fort. La surreprésentation politique des seniors, conjuguée à une abstention élevée des jeunes, favorise des politiques sécuritaires et conservatrices, créant un terreau électoral propice à la dérive autoritaire et à une montée des forces populistes autoritaires qui exploitent la peur du déclin, et l’insécurité ressentie.
Les régimes autoritaires européens d’aujourd’hui ne se présentent pas comme tel. Ils conservent des élections, une façade parlementaire, parfois même une presse pluraliste, mais ils vident ces représentations de leur substance. La bascule est souvent progressive : elle commence par la remise en cause de la légitimité des oppositions, se poursuit par le contrôle des médias et des juges et par des réformes électorales.
L’Europe n’est pas à l’abri d’une crise plus large du système démocratique mine par la polarisation, la désinformation, la défiance des élites et la peur identitaire.
L’Union Européenne est en difficulté face à ces dérives , car elle manque d’outils réellement contraignants pour enrayer l’autoritarisme de ses États membres. Surtout, la règle du vote à l’unanimité des États membres du Conseil européen bloque toutes les décisions de sanction pouvant être prises , car la Hongrie et la Pologne se protègent mutuellement en empêchant toute sanction effective les concernant.
8. Les États Unis sont-ils sur la pente de la démocrature ? La question peut se poser.
Les États Unis ne sont pas une dictature, mais ils avancent lentement sur la pente de la democrature : un régime où les formes démocratiques subsistent, mais ou le pouvoir est accaparé, les libertés rognées, la pluralité écrasée.
Si les États Unis restent, formellement, une démocratie constitutionnelle, plusieurs signes préoccupants, avec l’arrivée de Donald Trump à la présidence, indiquent une érosion démocratique accélérée laquelle pourrait ouvrir la voie à un autoritarisme de plus en plus assumé.
Depuis 2024 , les États Unis sous Trump peuvent être décrits comme une démocratie sous tension , après une élection dans un climat extrêmement tendu, avec des dérives autoritaires croissantes, et un affaiblissement des garde fous démocratiques : concentration d’un pouvoir exécutif très scénarise et médiatisé avec la signature des décrets présidentiels, épuration des agences fédérales ( FBI, CIA..) et nomination de fidèles à des postes clés ne possédant pas toujours les compétences de la fonction, usage politique des institutions judiciaires et de sécurité pour réduire l’indépendance de la justice , révocation de milliers de fonctionnaires .
Ce phénomène s’inscrit dans une montée globale du populisme autoritaire, dans une démocratie affaiblie par les inégalités, la polarisation, et la désinformation, avec des attaques contre les médias critiques (CNN, New York Times,) qualifiés « d’ennemis du peuple » .
En revanche, les liens ont été renforcés avec des médias amis ultra conservateurs ou complotistes (Fox News). Selon, la revue Continent, plus qu’une cohérence idéologique entre des factions hétéroclites, ce sont les ambitions individuelles, l’opportunisme ou la crainte du roi- président qui guide les principaux protagonistes trumpiste. C’est aussi la clé pour les faire plier aux bonnes volontés du roi- président qui ne se prive pas de recevoir et de montrer sa générosité et sa reconnaissance aux fidèles dans sa propriété de MAR-a- Lago, ou ses golfs.
C’est aussi la clé de l’attrait exercé sur la Silicon Valley, ses fondateurs et patrons, qui ont une vision très spécifique de l’histoire des « grands hommes » de leur place dans l’histoire et du rôle que doit jouer la techno- droite dans l’entourage du président et dans la gouvernance des États Unis et du monde.
Les institutions américaines : congrès, justice, presse, agences fédérales, ont longtemps résisté aux pressions politiques. Mais leur instrumentalisation croissante remet en cause leur indépendance. La Cour suprême est devenue un acteur idéologique à la suite des nominations présidentielles influençant durablement les droits civiques, l’avortement, le droit du sol. Le pardon présidentiel a été utilisé pour libérer les auteurs de l’attaque du Capitole condamnés par la justice. Dans plusieurs États dirigés par les républicains, des lois électorales restrictives ont été adoptées pour limiter l’accès au vote, en particulier pour les minorités urbaines, avec la réduction des jours de vote anticipé, des restrictions sur le vote par correspondance, la suppression ciblée de bureau de vote, le redécoupage électoral favorisant une minorité dominante. La garde nationale a été utilisée pour réprimer les manifestions aàLos Angeles en dehors des règles juridiques et contre la volonté du Gouverneur démocrate de la Californie tout en le menaçant.
La violence politique est devenue un outil de pression. L’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 n’a pas été un simple accident : c’était une tentative explicite d’empêcher une transition démocratique du pouvoir. Depuis, les menaces de violence à l’encontre des élus, journalistes et fonctionnaires se sont banalisées, allant jusqu’à l’assassinat d’un sénateur démocrate et des agressions à l’encontre d’autres. Des milices armées sont tolérés, voire encouragées. Des appels à la violence sont relayés sur les réseaux. Cette banalisation de la menace physique mine le fonctionnement démocratique en instaurant la peur comme norme.
Une partie du Parti républicain s’est transformée en un mouvement populiste autoritaire, ou la soumission envers le leader prime sur l’Etat de droit, la Constitution ou même la vérité. L’émergence d’un culte du chef autoritaire apparaît avec le retour de Donald Trump .
Depuis la Présidence de Trump, le mensonge est devenu un outil politique assumé pour refonder une réalité parallèle. Le mensonge selon lequel l’élection de 2020 aurait été volée continue de structurer une ligne de partage du Parti républicain entretenue par Trump, lui-même, renforçant l’idee d’un processus illégitime. Le complotisme est banalisé (QAnon,..) . Des médias et des réseaux sociaux entretiennent un écosystème informationnel où les faits sont secondaires face à la logique partisane. La vérité devient une opinion parmi d’autres.
Au-delà des partis, ce sont les citoyens eux-mêmes qui semblent divisés en deux camps radicalises qui ne se reconnaissent plus mutuellement comme légitimes.
Enfin, Trump , JD Vance , le vice-président , et les secrétaires d’Etat légitiment des régimes politiques forts et autoritaires et interférent dans les élections des États européens alliés en soutenant des partis d’extrême droite , AFD en Allemagne avec le discours de Munich. Trump et ses équipes jouent un rôle moteur idéologique et stratégique dans la montée des extrêmes droites radicales dans le monde occidental et ailleurs ( Argentine, Corée du Nord, Brésil, Italie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Allemagne,..) , Des Think tanks et influenceurs trumpistes collaborent avec les partis d’extreme droite européens ( Steve Banon avec le RN , La Lega en Italie, Vox en Espagne, où utilisent des plateformes numériques comme X , YouTube, Truth Social qui appartient à Trump avec des récits transnationaux sur la menace de l’immigration, les élites corrompues et les complots mondialistes.
Cette influence autoritaire mondiale s’accompagne de l’abandon du droit international et du retrait ou de la paralysie d’instances internationales et d’un affaiblissement du multilateralisme : ONU, OMS, OMC. Aujourd’hui, comme pour le Sommet de l’OTAN ou la recherche de solutions aux guerres, les négociations se résument à des deals géopolitiques, industriels et commerciaux en dehors de toutes règles internationales et de la diplomatie. Les tarifs douaniers fixés unilatéralement puis négociés en sont l’illustration. La diplomatie laisse la place à des transactions commerciales sans règles.
La question est donc aujourd’hui, comment empêcher l’administration américaine de basculer avec l’appui de la Silicon Valley et des patrons de la techno- droite libertarienne, dans l’autoritarisme pendant qu’il est encore temps ?
9. Les nouvelles technologies peuvent-elles aider et faciliter cette fascination autoritariste en politique ?
Oui, les nouvelles technologies peuvent favoriser un régime autoritariste, et elles le font déjà dans certains contextes. Si elles sont porteuses d’immenses potentialités pour la démocratie, la transparence, elles offrent aussi aux régimes autoritaires des outils d’une puissance inédite pour surveiller, manipuler, censurer et contrôler. Elles peuvent, aussi, être un levier d’influence ou de domination politique aux mains d’acteurs non étatiques , souvent sans légitimité démocratique, sans transparence, et parfois avec une capacité d’action supérieure à celle des institutions politiques étatiques.
Aujourd’hui, la reconnaissance faciale dans l’espace public, la géolocalisation via le smartphone ou les applications, l’analyse algorithmique des données personnelles sont déjà très largement utilisées par de nombreux États. Un contrôle social invisible mais permanent ou chacun devient potentiellement suspect existe déjà dans certains pays (Chine), ou peut-être très rapidement mise en place, ailleurs.
En France, lors des JO de PARIS 2024, la reconnaissance faciale n’a pas été utilisée, même si d’autres outils IA ont été déployés pour la sécurité. Le Parlement a interdit son utilisation dans les espaces publics et les enceintes olympiques. Mais des caméras augmentées avec IA ont été déployées dans les zones sensibles pour détecter des comportements anormaux : objets abandonnés, rassemblements massifs, mouvements suspects, sans identifier les individus.
4400 caméras ont été installées dans les transports. Des ONG ont estimé que c’était une porte d’entrée vers la surveillance de masse, avec un risque de dérive vers la reconnaissance faciale. Le Préfet de Police a obtenu que ce dispositif soit prolongé officiellement jusqu’au 31 mars 2025, estimant que l’outil avait démontré son utilité pour la sécurité. Le Gouvernement envisage de le rendre pérenne dans les gares et lors d’événements culturels sportifs. La CNIL met en garde contre un risque de dérive et appelle à un cadre transparent.
Les plates-formes numériques permettent la diffusion massive de récits officiels ou de desinformations, souvent sans que l’origine en soi clairement identifiable. Des Bots et des fermes à trolls inondent les réseaux sociaux. Des deepfakes sont utilisés pour disqualifier les opposants. Des contenus favorables au pouvoir peuvent être favorisés par un contrôle des algorytmes. La technologie permet d’anticiper, identifier et neutraliser rapidement toute contestation en suivant des militants sur les réseaux sociaux, en espionnant des téléphones d’opposants ou de journalistes. La dissidence devient de plus en plus difficile et risquée même en ligne.
Des outils technologiques permettent aussi de bloquer ou filtrer les contenus jugés indésirables : Coupure d’Internet localisée lors de manifestations, lois sur les fake News détournées pour faire taire la presse indépendante ou d’opposition. Les citoyens se retrouvent alors dans une bulle informationnel contrôlée.
Des systèmes d’intelligence artificielle sont utilisés pour des procédures judiciaires pénales par la police et la gendarmerie, en France, sous le contrôle de la justice pénale, mais cela pourrait être pratiqué hors contrôle de la justice dans certains États. Une surveillance prédictive des comportements peut être réalisée. Des algorithmes peuvent être utilisés pour détecter des » comportements suspects », mais qui définit les critères du comportement suspect ? Ces nouvelles technologies peuvent aussi servir à établir un fichage des citoyens sans garanties procédurales. Ainsi, ces nouvelles technologies peuvent favoriser un État pénal technologique avec, ou sans, recours effectif, ni transparence ou contrôle judiciaire ou d’une autorité publique indépendante du pouvoir.
Les nouvelles technologies sont ambivalentes. Elles peuvent servir la démocratie : transparence, participation, mobilisation citoyenne, mais entre les mains d’un pouvoir autoritaire, ou d’acteurs non étatiques, elles deviennent des instruments de contrôle redoutables dont le danger est qu’il devienne invisible, acceptable, voire populaire.
Ce n’est pas la technologie qui est dangereuse en soi, mais son usage sans contre-pouvoir. D’où l’urgence de garantir des protections des données et de définir un encadrement démocratique des technologies d’IA en renforçant la régulation des utilisations par les États, mais surtout des plateformes numériques des acteurs non étatiques : GAFAM (Google, Apple, Facebook / Meta, Amazon, Microsoft) mais aussi TikTok, X, et autres. Ces multinationales au pouvoir quasi étatique, contrôlent des infrastructures stratégiques, ont une capacité à orienter le débat public sans contrôle démocratique, par exemple, le rôle de Facebook dans la manipulation électorale du Brexit et des élections américaines de Trump en 2016 et aujourd’hui dans le débat politique américain. Dans un monde où ces entreprises privées détiennent plus de données, plus de capacité d’influence de surveillance que les États, tout en construisant des fortunes financières en Bourse, la protection de la démocratie dépend de la capacité à réencadrer ces pouvoirs non élus démocratiquement au moment où, les fondateurs et patrons de la Silicon Valley pénètrent dans l’administration et l’entourage de Trump pour y partager des intérêts communs. En substance, ils suggèrent qu’il serait incroyable de vivre dans un monde où nous n’aurions plus à nous soucier du gouvernement.
Nous pourrions assister à un effondrement des gouvernements et des monnaies, et à leur remplacement par un système politique beaucoup moins traditionnel, organisé autour des entreprises technologiques. Dans cet ordre mondial, les créateurs de nouvelles technologies seraient traités comme les rois- dieux de ces micro-communautés. Les gens pourraient passer d’une communauté à l’autre. Cette vision libertarienne et d’extrême droite a toujours été assez importante pour la communauté de la Silicon Valley, et restée relativement marginale, sauf qu’aujourd’hui, elle rencontre des convergences avec l’entourage de Trump et sa coalition MAGA et joue un rôle d’accélérateur technologique. La communauté de la Silicon Valley et l’administration de Trump veulent dominer le débat mondial mais aussi tirer parti des opportunités de conclure des deals, des transactions dans ce domaine qui consolideront la puissance américaine et certains intérêts commerciaux.
10. La Chine : l’exemple le plus abouti de l’utilisation des nouvelles technologies pour renforcer un régime autoritaire.
Le Parti communiste chinois s’appuie sur une combinaison sophistiquée de su vraiment, de contrôle de l’information et de manipulation algorithmique pour consolider son pouvoir, neutraliser toute contestation, et encadrer la société jusqu’au quotidien le plus intime.
La Chine a construit une infrastructure de surveillance à grande échelle, appuyée sur l’intelligence artificielle, et la reconnaissance faciale. Des centaines de millions de caméras sont installées dans les villes et villages, couplées à des logiciels de reconnaissance faciale capable d’identifier une personne en quelques secondes.
Le croisement des données issues des déplacements, des achats, des réseaux sociaux, des téléphones, des cartes bancaires et des connexions Internet permette d’établir le comportement permanent, individualisé de plusieurs centaines de millions de chinois. C’est ainsi qu’a été mis en place « le système de crédit social », un outil de notation qui vise à évaluer le « comportement » des citoyens et des entreprises.
Ce système de crédit social a pour objectif de récompenser les « bons comportements » (payer ses dettes, respecter les lois, et sanctionner les « mauvais » (critiquer le régime, propager de fausses informations, ne pas visiter ses parents , ne pas respecter le code de la route, etc.) . Il a pour conséquences possibles : se voir restreindre l’accès à certains services publics, le blocage d’un crédit bancaire, la mise sur une liste noire avec un affichage public du nom, l’interdiction de voyager en train ou en avion, par exemple.
La Chine a mis en place aussi un système de censure et de surveillance d’Internet pour contrôler strictement l’accès à l’information et empêcher l’influence d’idées extérieures jugées subversives par le Parti communiste Chinois. Ce système est appelé » Bouclier d’or ». Il combine le filtrage de contenus, le blocage d’adresses Internet, l’inspection des messages, la redirection du trafic Internet, la surveillance des comportements.
De nombreux sites occidentaux majeurs sont entièrement inaccessible en Chine, notamment : Google, Facebook, Instagram, WhatsApp, X, YouTube, TikTok en version internationale, Et des sites de presse comme le New York Times, BBC, le Monde, Reuters, Wikipedia. À la place, la Chine promeut des équivalents nationaux sous contrôle étroit dont les contenus sensibles sont supprimés : Taïwan, Hong Kong, …mais porteurs de récits pro- gouvernementaux, c’est un internet nationalisé, contrôle, ou la contestation est vite étouffée.
Le cas chinois montre jusqu’où peut aller un régime autoritaire quand il maîtrise à la fois la technologie, le territoire et le récit. Le parti communiste Chinois ne se contente pas de contrôler la politique : il colonisent le quotidien grâce a la technologie.
Cela pose une question éthique et politique majeure au reste du monde.
11. Pourtant, les pays anglo-saxons et du Commonwealth ainsi que les pays scandinaves résistent à cette fascination autoritariste en politique. Pourquoi ?
A l’exception des États Unis et de l’Inde, ce pays mériterait une analyse particulière, les pays anglo-saxons et du Commonwealth résistent à la fascination mondiale de l’autoritarisme politique. Cette résistance s’explique par un ensemble de facteurs historiques, institutionnels, culturels et politiques.
Très tôt, le Royaume Uni a limité le pouvoir royal (1215) et développe un parlementarisme précoce. Il a été l’un des premiers à établir un système de gouvernement représentatif et un exécutif responsable devant le Parlement. Ces traditions se sont exportées vers les colonies britanniques, qui ont repris et adopté ces institutions.
Ces pays disposent d’institutions stables et un État de droit fort. Les Constitutions formelles ou informelles limitent les pouvoirs de l’exécutif. La séparation des pouvoirs est un principe profondément enraciné. L’indépendance de la justice, la liberté de la presse et le respect des droits fondamentaux sont protégés et souvent inscrits dans les textes fondateurs.
Le pluralisme politique est bien ancré avec des alternances politiques régulières et légitimes. Les systèmes électoraux sont relativement équitables, stables et non contestés. Il existe une société civile active bénéficiant de la liberté d’association, d’expression, et pour son organisation politique ( syndicats, ONG, presse libre …)
Le libéralisme politique qui valorise les libertés individuelles, la tolérance, et la méfiance envers l’absolutisme , est au cœur de la culture politique. Cela crée un réflexe anti-autoritaire, une vigilance face aux abus de pouvoir. Toutefois, la résistance ne veut pas dire immunité, la période du Brexit a vu apparaître la manipulation politique, la désinformation et le mensonge politique du Premier ministre et des réseaux sociaux avec le résultat connu.
Les pays du Commonwealth (Royaume du Commonwealth et Commonwealth des NATIONS) ne constituent pas une entité politique comme l’Union Européenne, mais une communauté fondée sur des valeurs partagées. Ils ont hérité de ce modèle institutionnel britannique, parfois adapté, mais ont conservé le socle démocratique fort.
Aujourd’hui, le Roi Charles III est le chef de 14 pays du Royaume du Commonwealth : Royaume Uni, Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Jamaïque, Bahamas, Grenade, saint Christophe et Nieves , Sainte Lucie, Saint Vincent et les Grenadines , Antigua et Barbuda, Îles Salomon, Papouasie – Nouvelle Guinée, Tuvalu, Bélize. Ces 14 pays rassemblent 153 millions d’habitants.
Au-delà, 56 pays, anciens territoires de l’Empire britannique, forment le Commonwealth des Nations dont la majorité sont des républiques sans reconnaître le Roi comme chef d’Etat mais ils partagent les mêmes valeurs démocratiques. Ils comptent environ 2,6 à 2,7 milliards d’habitants, soit environ 33% de la population mondiale.
A titre de comparaison, de combien de pays le Président de la République française est-il reste le chef de notre ancien « empire » ? Ou, encore, combien de ces pays ont-ils conservé les valeurs de notre République ?
Les pays scandinaves : suède, Norvège, Danemark, Finlande, Islande, résistent aussi fortement à l’autoritarisme de manière constante depuis des décennies. Leur stabilité démocratique est l’une des plus élevée au monde.
C’est pays disposent d’institutions démocratiques anciennes et robustes, de parlements puissants, de cours constitutionnelles indépendantes et de lois électorales équitables. En Suède, Norvège et Danemark, la monarchie est strictement symbolique, sans pouvoir politique réel. Ces pays ont une forte tradition de consensus politique, de compromis et de participation citoyenne. Leur culture politique est profondément égalitaire ce qui limite les discours autoritaristes ou populistes fondés sur la division ou la hiérarchie. La politique est souvent de- idéologisée, les grands partis partagent un attachement à l’État de droit et aux institutions. Le système de santé, d’éducation et de protection sociale très égalitaire crée une confiance et une cohésion sociale très forte. Cela affaiblit les ressorts du populisme autoritaire : peur du déclassement, ressentiment. Les sociétés scandinaves sont très éduquées et informées grâce à un accès à une éducation de qualité qui développe des écoles avec un esprit critique.
Les gouvernements sont soumis à des mécanismes stricts de contrôle démocratique. La culture de la responsabilité est très développée. Ce sont de petits pays ou existe une forte cohésion de la société facilitant un haut niveau de confiance sociale facteur clé pour la démocratie.
Mais ces pays ne sont pas totalement à l’abri. Des partis populistes et anti- immigration ont gagné du terrain (les Démocrates en Suède) . La polarisation peut progresser sous l’effet de la mondialisation, des crises migratoires ou climatiques.
Pays anglo-saxons et scandinaves partagent des institutions démocratiques anciennes et robustes, ils pourraient servir de laboratoire, au moins au pays européens, pour lutter contre cette fascination autoritariste mondiale en politique.
12. Avec cette montée mondiale de l’autoritarisme, c’est la fin du monde de 1945, mais vers quel monde allons-nous ?
Oui, la montée mondiale de l’autoritarisme marque la fin du monde de 1945, une fin déjà engagée avec la guerre en Ukraine et le retour de Trump à la présidence des États Unis.
Ce monde de 1945 , construit après la Seconde Guerre mondiale , reposait sur un équilibre fragile mais structurant après la victoire sur le nazisme et le fascisme : la paix , le droit international avec la création de l’ONU, du FMI, de la Banque mondiale, de l’Organisation mondiale de la santé, la promotion des droits humains universels avec la Déclaration des droits de l’homme, les institutions multilatérales et la coopération institutionnelle entre les États , la promotion des démocraties libérales comme norme dominante de gouvernement, l’Europe comme modèle de réconciliation .
La montée de l’autoritarisme, conjuguée à une fatigue démocratique et à la fin du multilatéralisme délégitime les principes fondateurs de l’ordre de 1945.
Les principes démocratiques sont déconstruits, les institutions internationales perdent leur légitimité avec le droit international, la diplomatie conventionnelle n’existe plus , elle est remplacée par une diplomatie transactionnelle commerciale qui n’a pas de principes et nous revenons à une logique des blocs mais sans règles .
Vers quel monde allons-nous ?
Nous ne vivons pas encore un nouvel ordre international, mais une phase de transition chaotique, ou les anciennes règles ne s’appliquent plus et les nouvelles ne sont pas stabilisées.
Il faut repenser un ordre mondial démocratique capable de résister à la tentation autoritariste dans un monde complexe, multipolaire, instable et confronté à des crises globales : climat, IA, guerres, migrations.
Cinq tendances sont possibles :
⁃ Retour des nationalités , des souverainetés, repli national , fragmentation.
⁃ Hyper- technologisation autoritaire : surveillance, censure algorithmique, contrôle intime des citoyens.
⁃ Logique de survie et de puissance ou la règle devient se protéger avant de coopérer.
⁃ Un monde sans gouvernement selon les intérêts des patrons de la Silicon Valley et la techno – droite libertarienne organisé autour des entreprises technologiques.
⁃ Retrouver le goût de la démocratie. Ne pas nier les défauts des démocraties, et les réformer en profondeur par une restauration des contre- pouvoirs institutionnels, une refondation du pacte social autour de la vérité, de la justice et du pluralisme.
La responsabilité collective des peuples est immense. Refuser l’autoritarisme, ce n’est pas défendre un modèle figé ou naïf. C’est admettre que la démocratie est exigeante, qu’elle suppose du temps, du débat, de l’écoute. C’est refuser le confort du dogme pour lui préférer le risque de la liberté.
Ce n’est pas l’ordre qui sauvera la démocratie. C’est la justice. Ce ne sont pas les coups de menton qui redonneront confiance aux citoyens mais l’éducation civique, une mobilisation civique massive, la justice sociale, la transparence, la participation, la dignité.
Il ne tient qu’aux peuples de ne pas céder à la peur ni à la paresse civique. La vigilance démocratique ne doit pas être l’exception. Car le pire, aujourd’hui, n’est pas le retour de l’autoritarisme. C’est notre indifférence à son retour.
Le défi historique est immense.
Mais, avons-nous les hommes et les femmes politiques à la hauteur pour faire face à ces enjeux colossaux, éclairer leurs électeurs, réaffirmer les principes de la démocratie, du droit, de la coopération et des alliances démocratiques et éviter ce basculement dans un monde autoritariste fondé uniquement sur la force et la puissance.
L’avenir le dira, et doit dire rapidement comment le monde va éviter le chaos et surmonter les ravages de la fascination autoritariste en politique.