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Le journalisme est-il en fin de vie ou en pleine mutation ? par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne

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C’est le titre d’un dossier publié, sous la direction de Pascal Perrineau, par la revue « Émile «  de Sciences Po. Il comprend des enquêtes, des entretiens et des discussions avec des responsables de rédaction, des journalistes et des jeunes journalistes. Cette note en est une synthèse sur un sujet de société d’actualité, car la question se pose effectivement. L’avènement de l’IA générative, la concentration des médias, l’ère de la post- vérité, la méfiance du public, des réseaux sociaux tout-puissants sont autant d’enjeux pour l’avenir du métier. Le journalisme est-il en fin de vie ou en pleine mutation ? Quelles sont les voies possibles pour l’adapter aux nouvelles réalités du XXIe siècle.

Une profession aux contours mouvants.

La profession est dite « ouverte ».

Qu’est-ce qui caractérise ce métier aujourd’hui ?

Et comment redéfinir des frontières ?

C’est une loi de 1935 qui définit le statut de journaliste, « comme celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une publication quotidienne ou périodique éditée en France ou dans une agence française d’informations et qui en tire le principal des ressources nécessaires à son existence ».

C’est une définition assez large. La loi a instauré une commission chargée de déterminer qui relève ou non de ce statut, mais il n’a jamais été nécessaire de posséder la carte de presse pour exercer comme journaliste. Il n’est pas non plus obligatoire d’avoir étudié dans une école de journalisme. Pour certains, le journalisme, c’est la collecte d’informations d’intérêt général, leur contextualisation et leur publication.

Le journalisme peut être pratiqué par des citoyens, des étudiants, des vidéastes sur YouTube, des documentaristes, des correspondants locaux qui n’ont pas de carte de presse. Les journalistes qui sollicitent la carte de presse, le fond davantage pour les bénéfices pratiques qu’elles offrent que par fierté.

Le cas récent, des plates-formes de podcasts.

La profession est mouvante. Le dernier cas en date est celui des plates-formes de podcasts qui sont des plateformes de publication et de mise en ligne. Pour lesquelles il y aurait une responsabilité éditoriale, un travail journalistique et rémunéré. Ce serait donc du journalisme professionnel. Les médias ont changé mais le cadre de définition est toujours le même. Il y a toujours eu une interrogation sur les frontières du métier mais elles sont particulièrement prégnantes aujourd’hui car il y a de plus en plus de médias et de façons de s’informer.

Avant, c’était facile : la presse se trouvait dans les kiosques. Aujourd’hui, les citoyens doivent hiérarchiser eux-mêmes les sources d’information parmi les très nombreux médias qui leurs sont proposés

Les « faux amis » du journalisme.

Plus que la multiplication des canaux d’information, c’est peut-être le mélange des genres qui brouille aujourd’hui les frontières du journalisme et peut induire le public en erreur. L’un des faux amis, du journalisme et le métier de chroniqueur. Le chroniqueur, c’est celui qui intervient régulièrement dans les médias écrits ou télévisés, donne son opinion personnelle souvent engagée et qui ne se limite pas à rappeler des faits divers.

L’opinion devient alors un moyen de produire de l’information à moindre coût. Ce qui complique la distinction pour l’auditeur, c’est qu’un journaliste possédant une carte de presse peut intervenir comme chroniqueur et donner son opinion, sur un autre créneau de la chaîne, ou sur un autre media, sans que ce changement de rôle de journaliste qui rapporte des faits, à chroniqueur ne soit précisé.

La communication est aussi un autre « faux ami ». Certains beaux magazines adoptant tous les codes de la presse sont en fait édités par des marques. Ils ne sont pas des médias d’information, mais tout simplement des moyens de communication et de publicité pour des marques.

C’est aussi, l’ère de l’individu media qui fait irruption dans l’actualité journalistique.

L’internaute n’est plus seulement la cible des messages, il en est désormais l’émetteur et devient d’une certaine manière un individu -media qui intervient dans l’espace public journalistique. Si le lecteur ne disparaît pas, une foule devient émettrice de messages dont les contenus sont très personnalisés et popularises pour être diffusés à un public profilé par les algorithmes au point de faire disparaître la notion d’actualité qui était la particularité du journal. Le journal permettait d’extraire une série limitée de faits rendant possible l’attention d’un public de lecteurs sur des sujets communs de préoccupation et de discussion. Aujourd’hui, il n’y a plus de sujets majeurs pour le lecteur internaute susceptible de constituer l’actualité commune compte tenu de l’éparpillement extrême des messages qui sont tous autant de motifs d’attention, sauf événement majeur qu’impose une crise.

Confrontes à une actualité sans cesse recomposée par le pullulement des messages et des notifications, les individus n’accèdent plus qu’à une représentation atomisée de la réalité de l’actualité, dont ils sont aussi les émetteurs, incompatible avec l’idée du partage d’un monde commun. Voilà encore quelques dizaines d’années, le journal et les médias avaient un public et détenaient le quasi-monopole de la diffusion de l’information et de la formation de l’opinion publique. Aujourd’hui, ce sont les médias qui invitent les citoyens à faire parvenir des informations, des événements, des vidéos, des témoignages, pour participer à la création de l’information. Ils sont ouverts aux contributeurs et les sollicitent mêmes.

La profession étant tellement mouvante, ouverte et diverses que nous sommes dans une situation de flou complet : des individus sur les réseaux sociaux font du journalisme, des grands médias relayent la parole de non- journalistes comme étant du journalisme, d’autres relayent de la publicité comme du journalisme.

Comment le lecteur peut-il se repérer? il faut peut-être que les citoyens deviennent eux-mêmes des journalistes pour mener l’enquête et gardent un regard critique sur l’information qu’il leur est donnée.

Les médias en quête de la bonne recette.

Victime de l’érosion des ventes et de la baisse des recettes publicitaires, nombre de journaux n’ont eu d’autres choix que d’accepter d’être rachetés par des groupes industriels pour survivre. Certains entendent toutefois garder leur indépendance sur de nouveaux leviers comme les abonnements ou le brand content.

Le phénomène de concentration des médias n’est pas tout à fait inédit.

Dans les années 1980, Martin Bouygues, qui n’a rien à voir avec la presse, a investi le domaine des médias d’information :TF1, LCI, M6. Aujourd’hui, c’est Vincent Bolloré, qui a racheté Canal+, Capital, Voici, Europe 1, Paris-Match, JDD, Hachette. Pourquoi investir dans un secteur structurellement déficitaire? Quand on contrôle toute la chaîne, de la publicité à la communication en passant par la musique ou le cinéma, les pertes des médias d’information sont compensées par le reste. L’exploitation des duty-free, Relay et espaces de restauration dans les aéroports et les gares sont, en outre, un avantage déterminant pour assurer la distribution de ses titres. Bolloré veut montrer qu’on peut avoir un objectif idéologique, tout en étant rentable.

C’est aussi, Rodolphe Saade , propriétaire de La Tribune, qui a acheté Altice Média, devenant ainsi propriétaire de BFM TV et RMC et La Provence . Il se place dans une logique d’influence.

La crise des « News Mag ».

La révolution numérique n’est pas une aide au journal papier, mais signifierait sa mort, donc elle suppose une transformation profonde. Entre la baisse des ventes au numéro, l’effondrement des recettes publicitaires au profit des plates-formes numériques, (Google, Facebook, Amazon et TikTok), tous les magazines se retrouvent en difficulté. L’attachement au papier n’est pas suffisamment fort pour légitimer l’achat, il n’y a plus de collectionneurs comme auparavant on collectionnait Paris Match, François Soir, tous ces magazines présentent des diffusions, relativement faibles, inférieures pour certains à la moitié de ce qu’ils ont pu totaliser à leur zénith. C’est un choc énorme pour ces magazines qui vivaient du modèle publicitaire. Il y a 25 ans, l’Express avait plusieurs cahiers financés par la publicité.

À part quelques grands titres, comme Le Monde, qui a affranchi la barre des plus de 500 000 abonnés pur numériques, beaucoup n’ont pas su prendre le virage au bon moment et se retrouvent aujourd’hui en difficulté.

L’exception de Médiapart.

À la différence de journaux et magazines nationaux, Médiapart a tout mise sur l’abonnement numérique, qui représente 98 % de ses revenus. Un choix qui était tout, sauf évident, il y a 18 ans au lancement du site en 2007. Aujourd’hui, avec 220 000 abonnés, le site se place juste derrière Le Monde et Le Figaro (280 000), loin devant LE PARISIEN, (100 000) au classement des abonnements numériques en 2023. L’ancienne directrice générale de Médiapart estimait que les usages ont changé, les grands parents communiquent avec leurs petits-enfants via internet, et les français étalent de mieux en mieux équipés.

Jouer sur les valeurs ou la corde émotionnelle.

Le salut de la presse, passera-t-il par l’abonnement payant ? Les avis divergent. Certains jurent que par la diversification du modèle économique, on ne pourra jamais compter, disent-ils, sur une seule source de revenus que ce soit l’abonnement ou la publicité. Il y a toujours des crises dans la publicité, et c’est souvent le premier budget qui saute. Il n’y aurait que deux possibilités pour faire du contenu payant à destination des jeunes : soit ce sont les valeurs très prononcées, soit il faut jouer la corde émotionnelle. Autrement, pour un média pluraliste, ce serait impossible de faire payer. A moins de développer le brand content qui consiste à créer du contenu éditorial spécialisé entre information et publicité. Pour un média faire du brand content c’est créer du contenu éditorial pour des marques, mais sans être de la publicité brute. C’est une source de revenus de plus en plus utilisée dans les médias modernes et une façon de monétiser autrement que par la publicité classique.

 Ce sont des articles sponsorisés intégrés à la ligne éditoriale créant un partenariat durable avec des marques. Le sujet est choisi avec la marque. Le média conserve la maîtrise du ton, de la forme pour garantir la cohérence avec son audience. Le public a le sentiment qu’on lui parle « pour lui » pas pour vendre un produit directement.

Les chaînes d’info en continu dictent le tempo.

Par ailleurs, ces magazines doivent désormais adapter leur contenu à l’immédiateté de l’information de l’Internet et des réseaux sociaux, alors que pour ces magazines l’information c’est de l’enquête, du long cours. Les magazines ont perdu leur capacité à imposer leur calendrier de l’actualité. Il y a 25 ans, L’Express proposait un feuilleton pour mettre au pouvoir Gaston Defferre face au Général De Gaulle. Le Point faisait dialoguer Claude Imbert avec Giscard d’Estaing. Le Nouvel Observateur affichait son soutien à la nouvelle Gauche. Aujourd’hui, les maîtres des horloges, ce sont les chaînes d’information en continu. Contrairement à l’Allemagne ou le Spiegel écrase la concurrence, en France, l’univers est hyper concurrentiel. Aucun magazine n’a les moyens ni intellectuels, ni humains, ni économiques de trouver le joker pour écraser le marché.

Ou bien, ces magazines sont en concurrence avec de nouveaux et jeunes diffuseurs d’informations sur les réseaux sociaux. Hugo Travers, ne en 1997, créateur du média de vulgarisation sur les réseaux sociaux, Hugodécrypte, qui emploie 25 employés, dont 12 Journalistes, fait saliver les médias traditionnels qui lorgnent sur son audience avec 14 millions d’abonnés, dont 75 % âgés de 15 à 34 ans, sur YouTube, TikTok, Instagram et Snapchat en publiant de l’information, des vidéos monétisées et des contenus sponsorisés qui ne représenteraient que 5% des revenus.

Comment produire toujours plus, toujours plus vite, toujours moins cher, dans un environnement économique, de plus en plus concurrentiel et difficile ?

L’intégralité de la presse française, même la plus prestigieuse fonctionne désormais avec des chefs de rubrique téléguidant une armée de pigistes invisibles qui envoient leurs papiers par courriel. Ces pigistes sont des travailleurs, non pas salariés, mais des indépendants, rémunérés à l’article, principe analogue à l’intermittent du spectacle. Cette réalité est largement méconnue du public lecteur ou auditeur.

L’IA générative questionne la nature même du journalisme.

Déjà dans les années 1980, avec l’arrivée de l’ordinateur personnel les journalistes ont compris le pouvoir de celui-ci pour produire de l’information autrement. Aujourd’hui, l’IA générative permet d’automatiser la production d’informations avec l’utilisation des métriques d’audience, comme Chartbeat, dans les rédactions. Les métriques d’audiences désignent les données mesurant l’interaction des lecteurs avec les contenus: nombre de vues, temps passé sur la page, taux de clics, partage sur les réseaux sociaux, taux de rebond. Ces données sont fournies par des outils comme Google ou des solutions internes développées par les grands groupes de presse. L’objectif est de mieux comprendre le comportement des lecteurs, d’adapter les contenus aux attentes du public, d’optimiser la stratégie éditoriale et le modèle économique (publicité, abonnements,) de valoriser les performances des journalistes, auprès de la rédaction. Ces données permettent d’avoir une meilleure réactivité éditoriale , de proposer des contenus plus engageants , de contribuer à la fidélisation de l’audience, mais elles peuvent entraîner une course au clics, avec des titres racoleurs, des contenus émotionnels, un appauvrissement de l’offre éditoriale, avec moins d’enquêtes longues et des sujets moins attractifs, une pression sur les journalistes dont la productivité et mesurée en chiffre, ou à un risque d’autocensure pour éviter les sujets peu attractifs. Certaines rédactions cherchent un compromis en érigeant des barrières entre les équipes éditoriales et les journalistes ou en créant des contrôles éthiques internes sur l’usage des données. L’introduction des métriques d’audience transforme la production de l’information.

Elles permettent une meilleure connaissance des publics mais peuvent menacer la diversité éditoriale et l’indépendance journalistique si elles deviennent le seul critère de pilotage. L’enjeu est donc de les utiliser avec discernement, comme outil d’aide à la décision et non comme finalité éditoriale. Dans les chaînes en continu, cette technique permet de mesurer en temps réel l’audimat, de mesurer l’attrait ou la performance de tel ou tel invité du plateau, et depuis les coulisses de demander au journaliste animateur de relancer le débat si le public s’endort et quitte la chaîne. Le risque est le même que pour la presse écrite avec la recherche de l’émotionnel, du buzz, de sujets racoleurs, la pression sur les invités et d’autocensure. L’IA générative et ces nouveaux outils peuvent accroître la qualité de l’information, mais ils risquent de créer un journalisme de répétition, de standardisation.

Pour les jeunes journalistes, l’époque est passionnante, les lignes éditoriales se questionnent et se redéfinissent. Il devient impératif de discuter, car ses outils soulèvent des questions fondamentales, quant à la nature même du journalisme. Traditionnellement défini comme la production, le traitement et la diffusion de l’information, le journalisme est aujourd’hui confronté à des défis majeurs face à l’IA générative qui menace les tâches classiques des journalistes. Ils doivent s’adapter en allant plus loin, trouver des nouvelles infos et attirer de nouveaux lecteurs pour rester pertinent dans un paysage médiatique en constante évolution. Ces nouveaux outils posent, notamment, la question de l’indépendance de l’information, la transparence des rédactions sur le contenu généré par l’IA. Dans la production de contenu distinctif et à valeur ajoutée, ces outils ne pourront pas remplacer des humains qui sont dehors tous les jours, à la recherche d’informations exclusives que l’IA ne peut pas apporter. En revanche, en terme de diffusion, ils peuvent avoir un grand impact sur le ciblage de l’audience, notamment.

Ces outils peuvent être utiles pour personnaliser et affiner les canaux de distribution du type de contenu que le public reçoit. Si ces outils aident et leur accès ne pose pas de problème, en revanche, les compétences, la capacité à travailler collectivement, à négocier les valeurs journalistiques et éthiques ont un coût humain important que toutes les rédactions ne pourront pas s’offrir. Car 90 % de la manne publicitaire se déporte du papier sur Internet, et que, sur Internet, elle tombe dans les poches de Google et Facebook, les médias traditionnels n’ont plus de quoi entretenir une rédaction et des journalistes, capables de mener des enquêtes ou de rester plusieurs jours sur un lieu de reportage, lesquels sont remplacés par des pigistes analogues aux intermittents du spectacle.

Les chaînes d’information en continu : ou la fabrique de l’expertise.

Qui sont les experts qui envahissent les plateaux télé pour analyser l’actualité ? Comment sont-ils choisis ? La contrainte du direct, et la nécessité de remplir du temps d’antenne, induisent le recyclage des visages sur les écrans.

Le nom et le visage de certains « experts » sont très familiers.

C’est ainsi que l’on peut voir le même « expert » être invité à commenter, la sortie du confinement, puis la guerre menée par Israël contre la bande de Gaza, la guerre en Ukraine, les émeutes des banlieues et l’insécurité. C’est l’archétype de « l’expert toutologue », capable de discuter sur tous les sujets. Le but pour les chaînes d’information en continu, c’est d’avoir le meilleur plateau possible, le plus rempli possible, car il faut remplir du temps d’antenne. Souvent les « experts » se suivent et se ressemblent.

Ces chaînes doivent combler du temps, jusqu’à 18 heures par jour, en minimisant les coûts de production.

Lorsqu’il s’agit d’émission magazine, il est facile de programmer à l’avance les invités en fonction du thème, mais plus souvent, c’est beaucoup plus difficile car il faut réagir à chaud au direct, à l’actualité du jour ou de la nuit française ou internationale. Il faut expliquent certains programmateurs des rédactions trouver le « couteau suisse », qui est capable de parler de tout et souvent ce sont les mêmes. Les programmateurs ont leur liste avec les profils des invités qui répondent à la demande de la rédaction, connaissent parfois les emplois du temps des personnes disponibles pour faire face à l’urgence, leur proximité géographique des studios parisiens et remplir le plateau. Les rédactions aussi ont leur liste. Mais, les programmateurs piochent aussi dans des bases de données, en fonction de mots clés « Ukraine », « sécurité » , « inflation », sans connaître avec précision le domaine d’expertise de l’invité.

Ce sont souvent des personnalités à la retraite qui peuvent se libérer au pied levé, des généraux qui ont exercé des commandements, des personnalités issues du secteur privé, ou occupant des fonctions dans des Think tanks , des officines d’expertises qui acceptent les invitations. Ce peut-être, aussi, des personnalités, cherchant à gagner de la visibilité médiatique.

« L’expertise » est modelée au gré des thématiques.

Le choix des « experts » peut obéir à des lignes idéologiques propres à chaque rédaction. Certaines rédactions n’aiment pas tel ou tel invité car il ne correspond pas à la ligne éditoriale selon quelle est politique ou qu’elle cherche à faire le « buzz » et de la scenarisation, et les programmateurs doivent s’y adapter. La ligne éditoriale de CNews n’est pas la même que celle de BFMF TV, de LCI ou de France Info. Pour certains programmateurs « un bon invité «, c’est d’abord quelqu’un qui s’exprime bien et aussi qui a des choses pertinentes à dire avec éloquence. Il faut maintenir le téléspectateur éveillé, être percutant, parfois sur jouer la contradiction, et bien « passer » à l’antenne, être pertinent et pouvoir réagir à chaud.

Mais, comment définir la pertinence d’une analyse ? C’est à l’usage et avec le temps en observant et en repérant les profils qui passent sur les autres chaînes. Le « bon expert » peut alors devenir consultant permanent d’une chaîne, c’est le cas, en ce moment, des généraux et des ambassadeurs à la retraite, après avoir accueilli les blouses blanches des médecins durant la Covid 19. Ces consultants sont payés à chacune de leurs interventions et n’ont plus le droit de s’exprimer sur des chaînes concurrentes. Ensuite, il faut accoler à l’invite le bon titre pour le présenter à l’antenne. La qualification est souvent modelée en fonction du thème du jour, une même personne peut être qualifiée de « géopolitologue » ou « d’expert militaire », ou de spécialiste du thème abordé en étant fondateur ou dirigeant d’un organisme ou d’une startup au titre souvent assez flou.

Entre journalistes et citoyens, la défiance peut s’instaurer avec la guerre des regards.

Nécessaires au bon fonctionnement d’une démocratie, les journalistes ont pourtant vu leur légitimité, mise en cause ces dernières années. Un divorce se serait installé entre la sphère médiatique et le public. Le journalisme politique serait-il le royaume de l’entre- soi ? Une bulle de journalistes parisiens ? Pour quelles raisons sont-ils perçus avec défiance ? La profession ballottée entre des bouleversements économiques, un profond questionnement sur sa raison d’être et un monde quelle peine à décrypter, peut-elle se réinventer ou doit-elle revenir aux sources ? Faut-il attendre un retour à plus de mesure, en revendiquant le droit à une nécessaire critique des médias, sans pour autant les rejeter en bloc ?

Des balbutiements de la Révolution à la consolidation sous la IIIe République, la démocratie et le journalisme, tel que nous les connaissons aujourd’hui, ont mûri tout au long du XIXe siècle. Il faut attendre la loi de 1881 pour que le législateur clarifie les choses. La presse s’émancipe du pouvoir, avec la création des syndicats de journalistes, les chartes d’éthique, la carte de presse, les clauses de conscience et de cession. Un siècle plus tard, en 1986, un nouveau dispositif anti concentration, visant à garantie le pluralisme voit le jour: c’est la règle des deux sur trois : on ne peut pas contrôler une télévision, une radio et un quotidien.

Dès le XIXe siècle, la presse est déjà la cible de violentes critiques. Balzac, dans « Illusions perdues » dresse un portrait sans concession de la presse d’alors : « Tout journal est une boutique où l’on vend au public des paroles de la couleur dont il les veut. Un journal n’est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions ».

Au sein de toute corporation, l’autocritique reste semée d’embûches. Comment procéder à une honnête introspection si le journaliste ne comprend pas que parler de soi, c’est nécessairement être juge et partie. La corporation n’est pas tout à fait un sujet comme autre, car elle se pense avant tout comme des passeurs de faits. Un directeur de chaîne disait : « Des faits, toujours des faits, rien que des faits, c’est ma devise ». Mais un autre lui répondait que cette approche est illusoire, voire mensongère. La mémoire collective des citoyens a retenu des séquences au cours desquelles les journalistes auraient failli à leurs devoirs collectifs de transmission des faits.

Ce fut le cas avec l’accident nucléaire de Tchernobyl, l’affaire des charniers de Timisoara, la guerre du Golfe, les Gilets jaunes, et aujourd’hui avec la guerre entre Israël et l’Iran. Des chaînes d’information en continue occupent leur temps d’antenne avec des flots d’images interrompus. Montrer la même voiture en feu en boucle, des traces de missiles dans le ciel ressemblant à un jeu vidéo, n’est pas suffisant pour comprendre la réalité. Les faits racontent le monde, ils en font une narration ; ils n’en sont pas le simple reflet. Autrement dit, les faits font toujours l’objet d’un récit qui doit avoir une utilité sociale. Il doit permettre au citoyen d’avoir des informations vérifiées, de prendre de bonnes décisions et de rendre le pays meilleur.

Le métier est observé avec défiance : soupçon de parisianisme, soupçon d’entre soi, soupçon de partialité. Les journalistes sont accusés d’être soit tous gauchistes, soit tous inféodés au pouvoir, soit d’extrême droite. Pour une même information, le médiateur de France Télévisions, reçoit des réclamations de certains téléspectateurs qui se plaignent qu’on encourage l’extrême droite, d’autres qui disent que tous les journalistes sont à gauche, sans parler de ceux qui disent qu’il n’y en a que pour le pouvoir. En fait, le citoyen juge les journalistes et les informations qu’ils délivrent en fonction de ses opinions politiques.

Comment réparer la relation entre les journalistes et ceux qui s’en détournent, et en particulier les jeunes générations ? Déjà citée, la chaîne YouTube de vulgarisation, Hugo décrypte a trouvé un créneau porteur en couvrant les nouvelles du jour dans des vidéos de 10 minutes, et en adoptant un angle adapté aux jeunes. Un tel contenu a le mérite d’attirer une jeune génération, 75 % des 14 millions d’abonnés, de la chaîne ont moins de 34 ans. CNN lui a récemment consacré un article laudatif.

Les jeunes générations s’informent avantage via les réseaux sociaux (Facebook, TikTok, Instagram, X ,) que dans les médias traditionnels et ce changement va profondément modifier le rapport aux médias et aux journalistes. Très concrètement, cela veut dire qu’un jeune va voir une information sur un réseau qui l’amène vers un média traditionnel. Cela engendre deux problèmes : d’une part, les réseaux sociaux s’approprient les recettes publicitaires des médias traditionnels, d’autre part, les jeunes qui consomment ainsi l’information ne font plus attention aux sources. Ils mettent sur le même plan tous les articles et tous les médias.

Cela affecte la relation des jeunes générations aux journalistes, il leur est difficile de définir qui est journaliste et qui ne l’est pas.

Loin du numérique, c’est le format du livre d’enquête, et son temps long de maturation qui permet aux journalisme de regagner ses galons. C’est une forme de journalisme qui porte une ambition forte : celle de faire en sorte que les faits présentés produisent un effet dans la continuité de la publication. Ce fut le cas de certains ouvrages fruits d’un temps long de travail et de recherches qui ont fait l’effet d’une bombe politique, économique et financière.

Mais, le baromètre Viavoice qui mesure l’utilité du journalisme révèle que si 79 % des Français reconnaissent que le journalisme est indispensable dans une société démocratique, ils ne sont plus que 39 % à reconnaître qu’une information de qualité se paie. Le public n’est pas prêt à payer pour une information de qualité. Les Français estiment par ailleurs à 67 % qu’on peut trouver des informations fiables en dehors des médias de référence.

Alors quel avenir pour l’information ? Les citoyens ne risquent-ils pas d’en prendre leur parti et de fermer une fois pour toute le robinet des actualités ? Une société sans média est une dictature. Une société mal informée peut également conduire à une polarisation plus forte des comportements politiques.

Pour Hegel, qui fut journaliste autant que philosophe « La lecture du journal est la prière de l’homme moderne ». Aujourd’hui, le même Hegel dirait que « La consultation du smarphone et des réseaux sociaux est la prière de l’homme moderne «.

Exercer le métier autrement en démontrant que le journalisme peut s’épanouir autrement dans l’ère numérique.

L’école de journalisme de Sciences po à 20 ans. Elle mise sur le numérique et promeut un renouvellement du genre journalistique qui passe notamment par le numérique. Le journalisme autrement, c’est tout simplement adapter le métier, car il ne s’agit plus seulement d’informer, il ne suffit plus de transmettre l’information.

À l’heure des falke news, des deep fakes et des mauvais usages de l’intelligence artificielle, le journalisme autrement doit se traduire par la recherche de la fabrication de contenu adaptés aux besoins de l’audience, sans oublier que cette même audience est assoiffée de contenu de qualité qui traduisent de la profondeur et de la réflexion.

Le journalisme autrement, c’est entreprendre et mettre l’audience et les usagers au centre de nos préoccupations. Beaucoup de journalistes, s’abreuvent désormais à des sources communes, faciles et paresseuses, du genre à réduire le spectre du débat public à quelques réseaux sociaux, quelques chaînes d’info, une poignée de journaux. De quoi oublier des champs majeurs ; travaux universitaires, rapports parlementaires, rapports officiels d’institutions, documents publics en open data, etc , tous essentiels et passionnants, complémentaires de l’indispensable écoute et pratique du terrain, et du reportage . Cela demande plus d’implication, plus de travail, plus d’efforts, mais c’est le coût de la curiosité. C’est aussi le prix à payer si l’on veut trouver des sujets originaux. L’évolution numérique de nos sociétés, vers la répétition industrielle du même message, et l’intelligence artificielle obligent d’autant plus les journalistes, à changer de point de vue par rapport à l’opinion du plus grand nombre s’ils veulent continuer à être pertinents.

Les journalistes doivent investir toutes les plates-formes. Ils doivent en prendre les codes sans perdre de vue leur éthique : fournir une information vérifiée, rigoureuse et exacte. Les jeunes s’informent peu dans les médias traditionnels, il est important d’aller les chercher là où ils consomment du contenu : sur les réseaux sociaux, ou la désinformation pullule. Les journalistes doivent intelligemment investir ces réseaux sociaux où sont les jeunes, sinon ils perdront la bataille de l’information.

Les études ne montrent pas de désamour, des jeunes pour le fait de s’informer. La demande d’information des jeunes publics est plus hétérogène que par le passé. Les jeunes s’informent auprès d’un éventail de sources de plus en plus large, y compris là où actualité et divertissement s’entremêlent. Les réseaux sociaux sont les moyens de diffusion qui captent le plus leur attention et désormais, des influenceurs rivalisent avec des journalistes dans le regard du jeune public. La recherche de renseignements a visée pratique ou tout simplement l’envie de se changer les idées en s’informant sont leurs moteurs, au-delà du besoin plus classique de se familiariser avec les grandes actualités du monde.

Dans ce contexte savoir exactement comment attirer les jeunes et pas si simple. C’est d’ailleurs une question avec laquelle se débattent bon nombre d’organisations très différentes : les recruteurs dans les entreprises, le banquier qui lance des applications mobiles, les salles de concert de musique, les salles de cinéma, etc. Cela pose au fond la question de la capacité de toutes les organisations à se réinventer et à innover pour aller de l’avant sur le mode de l’expérimentation.

Il n’a jamais été aussi facile et peu coûteux qu’aujourd’hui de créer un nouveau média numérique et de le diffuser auprès d’un public, potentiellement à l’international, et de taille conséquence. L’essor de la vidéo et de l’audio, y compris les podcasts auprès des jeunes, mais également tous âges confondus ont ouvert de nouvelles possibilités.

L’école de journalisme de Sciences po a déjà intégré des formations pour préparer des talents formés aux nouveaux enjeux du secteur et ayant la capacité d’innovation. Elle encourage la création de start-up dans le domaine de l’information, avec des enseignements dédiés à la gestion de projet, la création d’un business model, le travail d’équipe, pour que les diplômés puissent lancer de nouveaux médias, créer des entreprises de presse et jouer, à leur tour, un rôle clé de réinventeurs des formes de l’information indépendante des années 2030

L’école estime qu’il faut aussi se questionner sur ce qui fait la valeur ajoutée des médias, c’est-à-dire le journalisme. Le format n’est qu’une infime partie de l’expertise journalistique. Les faits, le reportage, le terrain et la vérification des informations demandent des compétence complexes et génèrent une valeur conséquente pour l’utilisateur et, collectivement pour nos sociétés. Le journaliste et le garant des règles de déontologie. Tout ce qui fait un journalisme de qualité garde tout son sens, peu importe l’âge du public. Face à la polarisation des prises de position et au mélange des genres sur les réseaux sociaux, le respect d’une éthique professionnelle et la transparence sur les méthodes peuvent faire la différence auprès d’un jeune public.

Alors, s’achemine-t-on vers la fin du journalisme ? Refuser cette mort est un devoir moral et un combat politique. Ce serait la mort de la « chose publique », de la République en tant que régime s’appuyant sur une communauté nationale, sur un débat démocratique pluriel mais apaisé. Faut-il pour cela une nouvelle régulation par la puissance publique après les lois de 1881 et de 1986 ?

Certains la réclament sans quoi le combat sera perdu. Le numérique est au journalisme ce que l’invention de l’imprimerie a pu être à l’Eglise catholique, alors détentrice du monopole du discours religieux et qui ensuite a dû faire face à d’autres lectures de la Bible. Comme l’Eglise l’a fait, les diverses institutions politiques et médiatiques doivent tenter de reprendre en main le numérique au nom de la communauté nationale. Elles doivent mener un combat politique et technologique pour lutter contre le contrôle de l’opinion et des mentalités qui alimentent la radicalisation et les pensées réductrices.

Le pluralisme reste un défi pour tous, car c’est bien de la diversité des opinions que vit la démocratie. Trouvant son fondement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le droit à l’information est tout autant le droit d’être informé que le droit d’informer. L’accès à une information libre et indépendante et à laquelle on peut se fier est bien l’une des conditions de la démocratie : elle permet à chacun d’exercer pleinement et en toute lucidité sa citoyenneté dans un cadre pluraliste. Les institutions politiques et médiatiques doivent permettre aux citoyens d’avoir accès à cette information et de préserver ce droit.

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Financer la sécurité sociale : comment garantir la solidarité, et sauver ce trésor national, alors que l’on célèbre ses 80 ans ? par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne.

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« La tectonique des plaques politiques bouge en Occident entraînant de grandes turbulences à regarder avec lucidité et espérance dans un monde complexe », par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne.

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« Les élites, cet épouvantail politique flou et dangereux » par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne

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La proportionnelle, mais laquelle ? Par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne

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« Berlin, le 9 novembre 1989, un mur tombe dans l’euphorie pour la liberté, depuis s’emmurer est devenu une frénésie planétaire, pour quels résultats ? « par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne

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Démographie implacable : un chemin inconnu et dangereux pour la démocratie menacée par la gérontocratie, mais qui pourrait accompagner la transition écologique.(*) par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne

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