« La fraternité » par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne
C’est le titre « La Fraternité « qui m’a conduit à lire la revue « Inflexions », une revue de l’armée de Terre, que je découvre. Cette revue fait dialoguer civils et militaires sur les grandes questions de notre temps en particulier avec ce numéro qui s’interroge sur la nature de la Fraternité, les conditions de sa naissance, mais aussi sur les dérives et les instrumentalisations pouvant en découler. Il est impossible de sortir de la lecture de cette revue en disant que l’on n’a rien appris. C’est un travail de grande qualité, riche et fécond, hors de toute polémique. Les articles ont des approches du sujet diverses, originales, équilibrées et extrêmement riches. L’armée de terre considère qu’il n’y a pas de succès militaire sans réflexion, sans ouverture au monde. Un véritable plaisir de découvrir et de lire, en voici quelques extraits.
Souvent négligée au profit de ses deux consœurs de la devise de la République, liberté et égalité, elle est pourtant régulièrement convoquée pour la sauver du délitement politique lorsque des attentats terroristes, le spectre du communautarisme, le drame de migrants la menacent, la fraternité joue, alors, un rôle particulier dans l’histoire et le débat politique de notre pays. Selon certaines sources, le triptyque serait apparu pour la première fois à l’occasion de la fête de la Fédération du 14 juillet 1790.
Ce jour fut celui de la fraternité. L’intuition des révolutionnaires qui l’ont faite entrer dans le droit public français avec la première constitution de 1791, tenait de la conviction que la liberté et l’égalité ne pourraient suffire à garantir l’avenir de notre communauté politique, et qu’elle constitue une condition nécessaire à la concorde que l’on appelle aujourd’hui le « vivre ensemble «. La notion de fraternité désigne aujourd’hui à la fois un lien affectif, un idéal avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen repris par les 5 Constitutions successives, a laquelle les constituants de 1791, 1793 et 1848 ont donné une traduction sociale, un droit au secours et à l’instruction publique. Une traduction sociale qui sera la base des lois sociales de la III° République, avec la doctrine solidariste, puis à la Libération, sous l’influence du Conseil national de la Résistance, évolution qui se faisant, , a fait que la fraternité ne relève plus seulement des devoirs mais aussi des droits au point, qu’aujourd’hui, la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle depuis une décision du Conseil constitutionnel qui fut , comme d’autres, critiquée.
Malgré ce, aujourd’hui, le mot « fraternité « est peu inscrit dans le vocabulaire et dans notre débat public, encore moins sur les réseaux dits « sociaux « qui suffisent à nombre de citoyens en mal d’affection et de soutien. Notre actualité est plutôt faite de haine, cruauté, oppression, insécurité, destruction, guerre, refus du progrès et fin du monde. Une « brutalisation » s’est imposée dans nos sociétés, y compris la nôtre, ou l’individualisme narcissique menace de prendre l’avantage sur les autres formes du rapport à l’Autre. Aujourd’hui, la Fraternité, même oubliée ou déniée, reste un combat.
Mais qu’en est-il de la Fraternité ? Qu’est-ce que la Fraternité ? Quelque chose de concret ou un sentiment, une émotion? Recouvre-t-elle une réalité ou bien survit elle par automatisme, par le simple réflexe d’un énoncé ternaire « Liberté, Égalité, Fraternité «? Une incantation, une déclamation ? Si la liberté et l’égalité ressortent de la sphère des devoirs, la fraternité, même si elle devenue un droit au fil du temps, renvoie davantage à l’idée de devoir. Elle est de l’ordre des liens et moins des statuts, de l’harmonie et non du contrat, de la communauté et non de l’individualisme.
Il existe une fraternité humaniste qui invoque le respect de la dignité., de l’hospitalité, de l’empathie, de la tolérance et de la solidarité et une fraternité plus collective et identitaire, plus politique ou sociale que nous retrouvons dans les fraternités communautaires ethniques (bretons, corses, …), religieuses (chrétiens, protestants, musulmans,), idéologiques (communistes, libéraux,) , sociales ( syndicats,..),ou professionnelles ( ordres, confréries,..) . Le drame de cette dernière est qu’elle recèle une logique d’inclusion / exclusion en rejetant tous ceux qui ne font pas partie de la famille. C’est ainsi que nous avons connu des fraternités totalitaires conduisant à l’exclusion de groupes discriminés, à la répression de la société civile, à la terreur et à la commission de crimes de masse.
Cette fraternité totalitaire a transformé le milieu politique en espace de violence, de terreur administrative et policière sur des critères de classe pour le stalinisme ou de race pour le nazisme, tout en faisant coexister l’inclusion d’autres catégories de populations qui pouvaient se prévaloir de bonnes origines sociales ou raciales. Une catégorie de population qui se prêtait docilement aux injonctions d’un pouvoir en quête de domination sur les esprits et qui pouvait être vécue comme une communauté chaleureuse promue par l’idéologie. Un bien être totalitaire en quelque sorte qui crée ou restaure du lien social séduisant au bénéfice de cette communauté qui a le même identifiant.
Un auteur traite de la définition islamique de la fraternité faite d’une solidarité de foi et d’appartenance qui prend tout son sens dans le texte coranique et les récits autour du prophète Mohamed. C’était, à l’origine, la communauté unie et unique voulue par Dieu, c’était l’Umma. Mais cette dimension religieuse est dépassée par certains mouvements qui politisent le vocabulaire fraternel afin de redéfinir les cadres de la nation et de prendre le pouvoir. Le symbole le plus aboutit de cette politisation de la fraternité est incarnée par les Frères musulmans depuis 1928, en Égypte.
Convaincus par l’égalitarisme islamique, ils font du développement social : alphabétisation de masse, scolarisation des filles, création de dispensaires, la base d’un État musulman qui ne transigerait pas avec le droit islamique. Depuis les années 1950, les Frères musulmans s’implantent dans le monde musulman et en Europe, cherchant à mobiliser les croyants en capitalisant sur les contextes locaux afin de recréer une identité globale : besoin de justice et d’aide économique au Moyen Orient, besoin de reconnaissance citoyenne en Europe. Aujourd’hui, depuis 1979, cette nouvelle fraternité à son versant armé, avec le djihadisme, et la fraternité d’armes, qui prétend établir le djihâd mondial fondé sur la fraternité de l’islam et l’unité de toutes les terres musulmanes. Daech évoque la fraternité anti nationaliste des soldats du Califat. Dès lors, le Califat est la nouvelle Umma de la fraternité islamique.
Un autre auteur, nous rappelle la scène de la cérémonie d’ouverture des JO intitulée « Sororité » qui venait juste après celle consacrée à la « Fraternité « comme pour contester la légitimité de celle-ci et à, tenir compte, dorénavant, des besoins de toute l’humanité. Ce tableau consistait en un dévoilement de dix statues dorées de femmes remarquables auxquelles la République n’aurait pas suffisamment rendu les honneurs. Ce faisant la sororité s’est fait une place dans notre imaginaire et dans notre vocabulaire et dorénavant, toute réflexion sur la fraternité doit en tenir compte, pour ne pas être accusée d’être l’instrument masculin de la mise à l’écart des femmes de l’espace public. Si sororité et fraternité appartiennent aux valeurs de la solidarité, un démarquage subtil est fait : au lieu d’intégration ou d’accueil, il est parlé d’inclusion ; au lieu d’universalité, de diversité.
Comme la fraternité, la sororité a besoin de grandes figures, de mythes et de légendes pour ne pas rester une idée de papier, mais véritablement habiter la culture populaire et apparaître une idée idéal transformateur, le sixième tableau des JO sur la sororité qui suivait celui sur la fraternité a parfaitement illustré les bienfaits de la sororité et connu un succès planétaire. L’auteur prend le risque d’un slogan : » La fraternité, c’est raté, vive la sororité ! ».
Des lors, comme nous enjoint un auteur, il ne faut pas « rester au balcon « quand la fraternité est piétinée, oubliée ou dévalorisée. Il faut refuser l’incantation et l’injonction pour susciter l’adhésion aux valeurs de la République, car la fraternité est un lien avec le régime républicain et il pose une question intéressante : peut-on éduquer à la fraternité ?
Faut-il éduquer à la fraternité ?
« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots » disait Martin Luther King en 1968.
Parce que l’on ne naît pas fraternel, il y’a donc un travail individuel et collectif à éduquer à la fraternité. On a réalisé l’Etat de droit sur le plan politique, mais on a laissé la vie sociale et familiale à l’état de nature. Il faut penser à l’école qui doit être le lieu de la fraternité. Un lieu dans lequel les enfants et les adolescents sont reconnus, considérés, protégés, accompagnés : un lieu de sécurité, de bien être, de bienveillance, de soi. L’école ne peut être un lieu de transmission que si elle est un lieu de fraternité de socialisation.
La qualité des relations, entre les élèves, entre filles et garçons, entre les élèves et les adultes, et entre les adultes sont au cœur du climat scolaire d’une école et d’un établissement. Il faut amener les élèves à vivre en acte la fraternité, à partir d’expériences vécues pour espérer rendre désirable les valeurs de la fraternité. Transmettre des valeurs, ce n’est pas seulement donner à les connaître, c’est les rendre désirables. L’adhésion aux valeurs républicaines ne tombe pas du ciel, mais se nourrit d’un lent et patient travail auprès des élèves, un travail inscrit dans le quotidien et la durée. Mais comment éduquer à la fraternité et lutter contre le séparatisme (culturel, social, religieux) dans une école où il y a de moins en moins de mixité. Comment faire société sans avoir grandi ensemble.
Peut-on éduquer à la fraternité ? Oui, si on oublie le mode incantatoire et de l’injonction. Oui, si on en fait une expérience vécue dans le quotidien et si on met en place une culture de l’adhésion capable de créer un affect commun envers les valeurs et les principes qui sont aux fondements de notre idéal politique.
Pour un auteur de la revue, la vérité de notre situation sociale et politique commande le courage. Éduquons à la fraternité avec la conviction qu’une communauté politique ne peut se passer d’elle pour envisager de se maintenir dans le temps sous cette forme politique que l’on nomme « République «. L’humain n’est que le fruit du terreau sur lequel il grandit.