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Séminaire du 25 mars 2024 sur « les modes de scrutins », intervention de Patrice MARTIN-LALANDE, secrétaire général

Le 12 mai 2024
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Dans ma rapide introduction, je me bornerai à quelques questionnements, bruts de décoffré, sur la nature et les effets des différents modes de scrutin qui permettent l’expression de la volonté du peuple pour le choix des députés ! 

>> Peut-on, avec l’utilisation d’un seul mode de scrutin, atteindre à la fois les 2 principaux objectifs de l’élection législative : la juste représentation de la diversité des opinions et la nécessaire capacité à décider grâce à une majorité ? 

>> Si on ne peut atteindre ces 2 objectifs avec un seul et même mode de scrutin, faut-il : 

>panacher les 2 modes de scrutin ? 

>ou, renoncer à un des 2 objectifs qui apparaîtrait comme moins essentiel; et en rester au seul mode de scrutin qui permettrait d’atteindre l’objectif considéré comme le plus essentiel ? 

>> Le choix entre les 2 objectifs n’est-il pas un faux débat ? Puisque, en démocratie, la décision législative est prise à la majorité, le but ultime de toute élection n’est-il pas de faire émerger et faire sanctionner par les électeurs un pouvoir de décision sur un projet commun susceptible d’être majoritaire ? 

À ce sujet, l’opinion publique française peut apparaître comme assez paradoxale : elle veut à la fois la proportionnelle et la capacité de décision. 

Ainsi, selon plusieurs sondages, de 30% à 40% des électeurs seraient prêts à accepter un régime autoritaire dans l’espoir d’une décision plus efficace …donc prêts à renoncer à l’expression de la diversité – sensée être apportée par la proportionnelle plébiscitée ! – pour assurer l’efficacité de la décision ! 

« Quoiqu’il en coûte ? » 

Toujours aussi cartésiens, nos chers concitoyens ! À moins qu’ils n’aient tout simplement aucune idée des conséquences d’un mode de scrutin ? 

Encore un débat public défaillant …

>> La proportionnelle donne une photographie exacte de nos divisions; ou, si on préfère, de nos diversités…

La photographie la plus exacte des divisions répond-elle aussi au besoin de créer un pouvoir de décision ? 

Est-il plus important d’exprimer les diverses opinions « à l’état pur » ( dans une RP ou au 1er tour d’un SM) ou d’exprimer les diverses opinions « structurées » avant le vote pour être en état de gouverner ? 

>> La diversité actuelle, que prétend mieux représenter la proportionnelle, n’est pas  la diversité «  naturelle » des formations politiques, mais la diversité « construite » par un certain mode de fonctionnement de nos institutions.

Notamment, par le mode de scrutin majoritaire; et aussi par le mode de financement qui pousse à être présent, même sans aucune chance d’être élu, dans les compétitions électorales …

La proportionnelle construira-t-elle une autre diversité, surtout si le mode de financement est lui aussi adapté ( par exemple en donnant aux voix obtenues à l’éventuel second tour une valeur financière supérieure à la valeur attribuée aux voix du 1er tour ? Ce qui inciterait, pour être présent au second tour et toucher le financement maximum, à se grouper dès le premier tour ? Mais la prime financière crée une inégalité,…comme la prime majoritaire en terme de sièges …) 

>> n’est-ce pas un peu paradoxal qu’avec la proportionnelle, on diminue le pouvoir des électeurs d’influencer le choix des candidats qui n’ont pas besoin de la légitimité donnée par les mandats antérieurement confiés par les électeurs ? 

>> n’est-ce pas un peu paradoxal qu’avec la proportionnelle, on renforce le pouvoir donné aux partis de choisir les candidats et donc de « désigner » les députés, alors que les partis sont une des institutions qui ont le moins la confiance des Français ? 

Ne risque-t-on pas d’affaiblir encore plus la confiance qui est la base de la démocratie ? 

>> pour la démocratie, l’essentiel n’est-il pas de garantir le pouvoir des électeurs de choisir directement la politique qui sera menée ? 

Un des acquis les plus fondateurs de la Ve République est le pouvoir donné à chaque électeur de choisir le président de la République et de choisir la politique qui sera mise en œuvre par l’élection d’une majorité à l’Assemblée nationale. 

Pour gagner dans le scrutin majoritaire, il faut avoir 1 voix ( au moins !) de plus que le second, ce qui pousse au regroupement des sensibilités avant les élections pour être en tête le soir du vote ( ou, en tout cas, parmi les 2 premiers pour être qualifié pour le second tour…).

Il faut donc négocier entre formations politiques et proposer au public – avant l’élection – l’alliance ( ou au moins la perspective d’une alliance ) électorale la plus large possible.

Le scrutin majoritaire impose et permet le choix entre deux majorités potentielles. 

N’est-ce pas la seule manière de respecter le pouvoir des électeurs de décider directement quelle sera la politique mise en œuvre ?

>> Avec la proportionnelle, chacun tente sa chance, et, au vu des résultats, on négocie une alliance de gouvernement après le choix initial des électeurs. 

La proportionnelle fonctionne comme un système où les partenaires potentiels ne voudraient pas négocier avant que les électeurs ne répartissent les voix et ne fixent ainsi les rapports de forces. 

Le respect de la volonté des électeurs est-il mieux assuré, avec la proportionnelle, lorsqu’ils ont certes la possibilité d’exprimer leur préférence, mais qu’ils laissent libres les partis politiques de concocter une coalition pas forcément conforme à la volonté de la majorité des votants ? 

Confier aux partis politiques, si décrédibilisés, le pouvoir de décider de la majorité parlementaire ( en fonction de la dose de proportionnelle…) n’est-il pas un marché de dupes pour les électeurs qui perdent ce pouvoir ? 

>> La culture – bien française – de la discorde, le financement ( qui pousse chacun à tenter sa chance le plus longtemps possible ) et le scrutin proportionnel ( qui dispense de s’engager avant le vote ) ne formeront-ils pas un obstacle insurmontable pour dégager une majorité de gouvernement après le vote ? 

A quoi cela sert-il au Parlement d’être plus représentatif, si c’est pour être dans l’incapacité de décider ? Faut-il rendre plus « représentative » l’impuissance législative ? 

>> la proportionnelle est voulue pour sa capacité à donner une suite au choix de ( presque) tous les électeurs. Mais l’effet bénéfique de ce « rapprochement » ne sera-t-il pas gommé par l’éloignement que la proportionnelle instaure entre l’électeur et son représentant ? 

>> on peut se demander si, pour compenser la dose de proportionnelle, il ne faudrait pas introduire le scrutin majoritaire à 1 seul tour pour les députés restant élus au scrutin majoritaire ?

La dose de proportionnelle va, par définition, rendre une peu moins facile l’émergence d’une majorité . 

Le scrutin à 1 seul tour oblige les sensibilités à se regrouper avant le vote afin d’assurer leur meilleure chance d’être en tête. 

Cela renforcerait le pouvoir des électeurs de choisir directement la majorité, en compensation du pouvoir qu’ils perdent du fait de l’élection à la proportionnelle d’une partie des députés.

Autre avantage : tous les députés seraient élus le même jour.

>> L’éternelle question de la causalité de l’œuf et de la poule n’épargne pas le choix du mode de scrutin : le mode détermine-t-il l’organisation des partis qui déterminerait la culture et le fonctionnement du système politique ? Ou l’inverse ? Ou un peu des deux ?