Retour

« DONNER DU SENS À LA PEINE D’EMPRISONNEMENT »

,

Conférence par Joaquim PUEYO, ancien député de l’Orne

CODIR  – jeudi 12 juin

Une très intéressante et très instructive conférence avec notre collègue ancien député, Joaquin PUEYO, mais aussi ancien directeur d’établissements pénitentiaires : Fleury-Merogis, Fresnes, et Bois d’Arcy.

Un fin connaisseur de l’administration pénitentiaire qui a connu des évasions, une prise d’otage à Fresnes et des émeutes. Cette riche expérience lui a permis de participer activement aux débats et aux travaux parlementaire sur la justice, la prison, la sécurité, la réforme carcérale et la surpopulation carcérale, les détenus radicalisés et les narcotrafiquants. Il a publié un livre de témoignage sur son expérience carcérale extrêmement riche en 2013 « Des hommes et des mur ». (Tirage épuisé)

Il nous a rappelé l’évolution de la justice, du régime pénitentiaire et de l’administration pénitentiaire. La justice prend des décisions judiciaires et confie le soin à l’administration pénitentiaire de les appliquer.


Avant le XIXe siècle, le régime était dans une logique punitive et spectaculaire avec des peines corporelles : torture, mutilation, peine de mort. Des peines violentes et spectaculaires : bûcher, écartèlement, en place publique. Les prisons peu nombreuses sont des lieux de détention provisoire. Les galères sont utilisées aussi en envoyant les condamnés ramer sur les navires. Elles seront supprimées vers 1750 pour être remplacées par les bagnes portuaires puis les bagnes coloniaux.

Le XIXe siècle a été un tournant avec la naissance de la prison comme lieu de punition d’amendement et de réinsertion. Le code pénal révolutionnaire de 1791 supprime les peines corporelles. Mais, comme auparavant, la victime est oubliée. L’objectif est de punir le coupable, non de réparer le préjudice subi par la victime.

La victime est un dégât collatéral qui n’est pas écoutée, ni entendue. Le crime ou le délit est avant tout une infraction à la loi, une atteinte à la souveraineté de l’Etat, pas une offense privée. Il faut attendre Victor HUGO avec « Les Misérables « pour que soit évoquée la situation de la victime avec Jean Valjean persécuté par l’inspecteur JAVER, et de la petite Cosette victime de la dureté des lois. Victor Hugo plaide pour la rédemption et le pardon en luttant contre un système répressif et inhumain.


Ce siècle est aussi celui des bagnes coloniaux et de la relégation (Guyane, Nouvelle Calédonie) destinés aux criminels jugés les plus dangereux. S’il s’agit de punir et d’éloigner, car les prisons et les bagnes portuaires (Toulon, Brest, Rochefort) sont surpeuplées et insalubres, c’est aussi pour coloniser, peupler et exploiter ces terres lointaines. Le bagne permet de désencombrer les prisons.

Les bagnards travaillaient dans les exploitations agricoles des colons. Il y avait aussi l’espoir qu’une fois la peine purgée, les bagnards resteraient sur place. Ils deviendraient des colons contribuant au développement économique de ces territoires. Le bagne a été utilisé aussi pour éloigner les prisonniers politiques de la Commune après 1871 en Nouvelle Calédonie. Les bagnes sont fermés en 1897 pour la Nouvelle Calédonie et en 1938 pour la Guyane.


C’est avec la loi du 5 août 1875 que la politique d’emprisonnement cellulaire est officiellement imposée. Cette loi rend obligatoire l’isolement individuel dans des cellules fermées avec pour objectif d’éviter les contaminations criminelles morales entre les prisonniers, de faciliter la surveillance et le contrôle, la discipline en vue de la correction et de la réinsertion. Mais la surpopulation carcérale rend rapidement l’isolement impossible et les médecins signalent des troubles psychologiques liés à l’isolement. Cette politique stricte sera assouplie.


Le XXe siècle apporte, surtout, après 1945 avec des hommes politiques qui ont connu la guerre, la résistance, le régime nazi et la captivité ou la déportation, le régime de Vichy une vision plus humaniste de la justice et des prisons. C’est un moment de reconstruction juridique, morale et institutionnelle. La justice doit se réformer pour effacer le régime de Vichy et rétablir la République. Elle retrouve les grands principes républicains : séparation des pouvoirs, droits de la défense, indépendance de la justice.

En 1945, est créé l’administration pénitentiaire et la prison est désormais sous la tutelle du Ministère de la Justice. Un personnel est recruté après avoir reçu une formation spécialisée. La notion de réinsertion et de probation se développe. Une approche plus individualisée se met en place avec la création d’établissements spécialisés pour les mineurs et une justice spécialisée pour les mineurs, le développement de peines alternatives : travaux d’intérêt général, sursis avec mise à l’épreuve, bracelet électronique. Les droits des détenus sont renforcés avec le droit à la santé, à l’éducation, au travail, la présence de l’avocat. Mais, le système pénitentiaire se heurte toujours au problème récurrent de la surpopulation carcérale chronique.

A ce jour le taux de remplissage des prisons serait de 130%, près de 83000 détenus pour 62359 places. Pour remédier à cette surpopulation carcérale un premier programme de construction de prisons a été porté par Albin CHALANDON, garde des sceaux en 1987. Il a permis de construire 9 établissements pénitentiaires avec environ 13 000 places entre 1990 et 1992. Un autre plan a été annoncé en 2018 par Emmanuel MACRON.

A ce jour, environ plus de 6000 places ont été réalisées. Il devrait être achevé en 2019. Gabriel DARMANIN a annoncé en Avril 2025, 3000 places rapides à créer avec des structures modulaires. Ce système gagnerait en rapidité et en coût. Il serait adapté pour des courtes peines.

Joaquim PUEYO s’est exprimé et a participé à la mission d’information sur la surpopulation carcérale et ses effets qui conduisent à des conditions de détention indignes plusieurs milliers de détenus dorment au sol, a une promiscuité extrême et des violences entre détenus ou envers les personnels, à l’absence d’hygiène avec la présence de rats, punaises de lit, à l’entrave à la réinsertion et au travail des détenus.

La surpopulation nuit à l’autorité des gardiens de prison et fragilise les conditions de sécurité. Elle pose aussi un obstacle majeur à l’exécution des peines, au développement du travail en détention et à la réinsertion des détenus.

 
Joaquim PUEYO a plaidé pour un encellulement individuel accompagné par la construction de nouvelles places de prison et de mesures législatives pour réguler la population carcérale visant à limiter la surpopulation. Pour cela les juges devraient utiliser des peines alternatives : bracelet, sursis probatoire, aménagements de peines et adapter la réponse pénale au taux d’occupation des prisons.

Un sujet politiquement très sensible. Chaque entrée en cellule doit être compensée par la sortie d’une autre.


Concernant l’islamisme, la radicalisation et les narcotrafiquants, Joaquim PUEYO considère qu’il s’agit de défis sécuritaires et sociaux nécessitant une action de l’Etat, surtout en milieu pénitentiaire. Il préconise une mise à l’écart de ces détenus pour éviter la contagion. Il a souligné le phénomène des téléphones portables en détention, souvent utilisés au service du trafic de drogue. Il demande la mise en place de normes de sécurité plus strictes: brouilleurs, scanners, et du personnel pour contenir ces activités illicites.


A côté de cette évolution de la prison, il faut observer la reconnaissance progressive de la victime qui commence à être reconnue comme un acteur du procès et qui porte, avec la société et les médias, un jugement sur le jugement judiciaire à venir ou rendu. Le concept de victime est officiellement reconnu dans la procédure pénale. Elle peut se porter civile pour demander réparation devant le tribunal.

Des associations d’aide aux victimes se créent. La victime peut se trouver au centre du procès lorsqu’ ils sont fortement médiatisés. Les grands procès médiatiques : terrorisme, violences sexuelles, attentats, ont accéléré la prise en compte de la parole des victimes. Ainsi, aujourd’hui, la victime occupe plus de place dans les médias que le prévenu mis en cause et présumé coupable. L’opinion publique avec les réseaux sociaux rend son jugement avant les juges, et certains avocats savent en jouer.


Par son parcours professionnel et politique, Joaquim PUEYO a apporté au groupe des anciens députés, un regard éclairé sur la prison, et sur des sujets sensibles comme la surpopulation, la lutte contre la radicalisation et l’islam en prison, et les narcotrafiquants.


Pour Joaquim PUEYO, le sens de la peine d’emprisonnement, la finalité de la prison doit être la réinsertion du détenu. Il faut croire en l’homme, un message d’espoir pour conclure cette belle conférence.

Plugin WordPress Cookie par Real Cookie Banner