Le sommet de l’OTAN : Pour Trump, un deal géopolitique, un deal politique, un deal industriel -militaire , un deal commercial au profit des US, tout en conservant seul le doigt sur la « gâchette » nucléaire, par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne
Depuis 2014, et plus fortement encore depuis la guerre en Ukraine, les pays européens membres de l’OTAN ont accepté d’augmenter significativement leur budget de défense, les États-Unis poussent les États membres à consacrer 2 % de leur budget à la défense, dont une partie est souvent destinée à l’acquisition d’équipement militaire en grande partie auprès de l’industrie américaine.
Mais, au sommet de l’OTAN de La Haye, Donald Trump a imposé que 5% du PIB des Etats membres soit affectés au budget de la défense. Trump considère cette alliance comme un marché où les États Unis doivent être rémunérés pour leur rôle de protecteur.
Il utilise la pression budgétaire pour faire céder ses alliés à ses vues. Il renforce le complexe militaro-industriel américain et stimule l’économie américaine. Tout en affaiblissant la concurrence européenne. Cette orientation soulève de nombreuses questions sur la souveraineté, les intérêts industriels, et la sécurité stratégiques du continent européen.
1. Les États Unis : Isolationnisme ou République impériale ?
Un rappel de l’histoire est nécessaire pour mieux comprendre la séquence du sommet de La Haye. Et pour cela, un excellent article de la revue Commentaire (No 190) reproduisant des extraits d’un ouvrage de Raymond Aron publié en 1973 pose, déjà, les questions que les européens se posent aujourd’hui.
C’est dans son discours d’adieu, en 1796, que Washington quittant la présidence des États Unis défini « l’isolationnisme américain ». « Notre règle de conduite, vis à vis des nations étrangères, est d’avoir avec elles le moins possible de relations politiques, tout en développant nos rapports commerciaux… L’Europe a une série d’intérêts primordiaux qui ne signifient pas grand-chose pour nous…Elle doit prendre parti dans des querelles qui nous sont étrangères …. Il serait insensé de notre part de nous engager …à prendre parti aux vicissitudes de sa politique…. Notre situation d’éloignement nous autorise et nous met en demeure de suivre une voie différente… » il précisait « … en invitant à ne s’engager en aucune façon dans des alliances permanentes…. et de s’engager en toute sécurité dans des alliances temporaires en cas de circonstances exceptionnelles…..» .
Il a fallu Wilson pour s’engager dans la guerre européenne. Mais le Sénat refusa d’entériner le traité de Versailles et la garantie de sécurité que l’Amérique donnait à la France ainsi que la participation des États Unis à la Société des Nations.
Roosevelt s’affranchit à nouveau de cette règle par la Charte de l’Atlantique, mais surtout Truman par la création de l’OTAN et en scellant une alliance avec le Japon. Après la guerre du Vietnam, la majorité de l’opinion publique américaine est devenue favorable à une restriction du rôle international des Etats-Unis.
Les États Unis doivent-ils encore aujourd’hui, dans leur intérêt, dans l’intérêt de leurs alliés maintenir leurs alliances. Entre les deux thèses : les États Unis peuvent-ils renoncer à « l’empire » auquel ils doivent leur richesse, et celle de « l’isolationnisme » qui permettrait de maintenir la prospérité en se repliant sur eux-mêmes, la seconde se plaide plus aisément que la première, ce fut peut-être vrai il y’a longtemps, cela l’est moins aujourd’hui et encore demain. Cela supposerait que les relations avec la Chine deviennent moins conflictuelles, ce serait souhaitable mais es ce probable ?
2. TRUMP transforme l’OTAN en un marché militaire, en imposant sa vision transactionnelle, et l’emprise américaine.
Pour Donald Trump , les relations internationales sont des deals commerciaux. C’est ainsi qu’il a imposé la décision de porter à 5 % du PIB la contribution des Etats membres, d’ici 2035, et que celle-ci a été adoptée à l’unanimité des 32 États membres : 3,5% pour la défense proprement dite et 1,5% pour les infrastructures liées à la sécurité.
Pour lui, c’est une victoire historique., tout en prétendant qu’avec cette décision l’Europe contribue équitablement à sa défense. Alors que Trump sait très bien qu’une part importante, et qui sera croissante, des budgets européens sera consacrée à l’achat de matériel américain (F-35, Patriot, drones, etc..) et alimentera directement le complexe militaro-industriel des États -Unis. Ce flux représentera plusieurs dizaines de milliards de dollars chaque année.
Les contrats avec la Pologne, l’Allemagne ou la République tchèque ont déjà renforcé cette dynamique au cours des années précédentes. En fait, en imposant cette décision, il défend tout simplement les intérêts de sa filière militaro-industrielle américaine qui va créer des emplois aux Etats-Unis. C’est un acte de souveraineté américaine et de soumission de l’Europe. Trump rejette le multilatéralisme traditionnel au profit d’une approche transactionnelle ou les États Unis dictent les termes.
Cette logique américaine fait que la présence des bases américaines en Europe, dont le coût est évalué entre 15 et 20 Md$, n’est pas un cadeau stratégique, mais un investissement rentable car les alliés par leurs achats d’armements américains de plusieurs dizaines de Md$, et leur participation financière au coût des bases US de l’ordre de 5 Md$ par an, paient leur propre production.
Avec cette décision de 5% la présence américaine en Europe sera encore mieux rentabilisée. Trump transforme la sécurité européenne et notre protection en business. Les bases sont une vitrine et la souveraineté européenne un marché captif.
Les conséquences sont :
Le maintien de la domination technologique américaine, la dépendance logistique et technique en achetant américain, la marginalisation progressive de l’industrie européenne de défense.
Une dépendance très coûteuse financièrement et économiquement pour l’Europe,
Moins de coopération, plus de transactions.
Moins de diplomatie, plus de chantage commercial. Moins d’alliance équilibrée, plus de soumission clientéliste.
3. Mais TRUMP garde, pour lui seul, le doigt sur la « gâchette » nucléaire.
L’arme nucléaire américaine déployée en Europe : Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas, Turquie, reste sous le contrôle exclusif du Président des Etats-Unis. Aucune nation européenne ne peut les activer et n’a le contrôle du déclenchement.
En cas de crise, seul le Président américain a le doigt sur la « gâchette « nucléaire et peut décider de son utilisation depuis le sol européen sans accord local.
Les conséquences sont :
Une perte de souveraineté stratégique européenne sur l’ultime niveau de dissuasion.
Risque d’utilisation depuis le territoire européen sans accord des gouvernements avec les conséquences que cette utilisation peut avoir pour le pays d’où elle est utilisée.
Une garantie de sécurité incertaine avec un Trump imprévisible, ou un autre président isolationniste. L’attitude de Trump est en contradiction avec sa rhétorique isolationniste de campagne : America First,ou qualifiant l’OTAN « d’obsolète «. Mais à La Haye, Trump a défendu une logique stratégique d’un empire plus rentable, plus direct, sans partage ni compromis. Il a utilisé ce sommet comme un outil de marchandage commercial militaire mondial avec son discours commercial « ils nous doivent de l’argent », ce qui est faux.
4. Et si la France avait refusé ce deal des 5% ?
La France aurait pu, et peut encore refuser, le deal des 5%. Elle est le seul pays européen réellement en position de le faire , pour des raisons historiques, militaires , stratégiques et politiques .
La France est une puissance nucléaire indépendante. La dissuasion nucléaire française est entièrement autonome. La décision d’utilisation est exclusivement nationale et elle dispose de forces aériennes et sous-marines pour l’utiliser, contrairement à l’Allemagne, le Royaume Uni, la Belgique ou l’Italie. Aucune arme nucléaire américaine n’est stockée en France.
La France n’à pas besoin des États Unis pour garantir sa survie stratégique: elle peut riposter seule, ce qui fonde sa doctrine d’indépendance. C’est la tradition gaullienne d’autonomie stratégique depuis 1966 avec la décision du Général de Gaulle de retirer la France du commandement intégré de l’OTAN, qu’elle a réintégré sous Nicolas Sarkozy. Le Général a refusé que la France dépende d’une alliance sous contrôle américain. Cette doctrine aurait pu légitimer lors de ce sommet de La Haye un refus politique assumé des pressions budgétaires et industrielles de Donald Trump.
La France dispose d’un écosystème industriel de défense souverain : Dassault, Naval Group, Safran, Thales, Nexter, etc… Elle n’a pas besoin d’acheter massivement américain, contrairement à de nombreux voisins. Elle peut produire des chasseurs, des missiles, des sous-marins, des drones, et donc résister à la logique du deal de Trump.
La France est l’un des rares pays à avoir franchi les 2% du PIB bien avant les autres. Elle aurait pu refuser d’aller jusqu’à 5% surtout si cela signifie acheter américain, ce qui serait contraire à ses intérêts industriels et à sa doctrine stratégique.
Si la France avait décidé et assume de refuser cette décision, comme le Général de GAULLE en 1966, les impacts auraient été nombreux, elle aurait pu:
Rencontrer des tensions diplomatiques avec Washington et potentiellement une perte d’influence dans l’OTAN. Recevoir des critiques de certains alliés européens, notamment ceux qui préfèrent l’atlantisme (Pologne, Pays-Baltes, Royaume Uni). Renforcer sa souveraineté nationale militaire et industrielle (appui à Dassault, Naval Group…)
Mais, elle se désengagerait de la logique d’acquisition d’équipements américains, et augmenterait ses investissements pour compenser ses désengagements.
Elle renforcerait son rôle de leader d’une Europe souveraine en appelant à relancer une véritable défense européenne autonome fondée sur des projets communs Franco- Allemand ou Franco-Italien qui il est vrai sont difficiles à mettre en œuvre aujourd’hui, car ils se heurtent à des cultures différentes ou des positions politiques différentes (avion du futur, SCAF, char du futur, MGCS, avec l’Allemagne, programme Naval avec l’Italie.
La France a les moyens politiques, militaires, industriels et historiques du refus. Celui-ci impliquait des choix difficiles, mais surmontables et possibles à condition d’en faire un acte de souveraineté fort, et non un simple désaccord budgétaire.
C’est dommage que ce refus n’a pas été utilisé ou évoqué publiquement. C’était une chance de donner de la voix à la France et à l’Europe. Le Général de Gaulle qui connaissait bien les américains n’a pas hésité, lui. Emmanuel Macron a seulement qualifié de « consternant « l’idée que l’on exacerbe les dépenses militaires tout en imposant des mesures protectionnistes commerciales aux alliés, estimant contradictoire de menacer de tarifs au sein de l’OTAN.
5. Et si collectivement les États membres avaient refusé ce deal des 5% ?
Un refus collectif au niveau européen de dédier systématiquement les 5% à l’industrie américaine aurait modifié en profondeur la politique sécuritaire du continent européen. Mais, ce refus avait peu de chances de faire consensus. La France ayant une position unique, le Royaume Uni est très lié stratégiquement, industriellement et doctrinalement aux américains, son arme nucléaire est dépendante des États-Unis. D’ailleurs le Premier ministre anglais a immédiatement soutenu l’objectif de 5%.
Les autres pays européens ne disposent pas de dissuasion propre et dépendent des garanties américaines (bouclier nucléaire, troupes, logistique, surveillance). Ils subissent et cèdent aux pressions pour acheter américain (F-35, Patriot,etc.. ) . Ils n’avaient aucune capacité réelle de refus, sauf à s’aligner sur un leadership fort français. C’est ainsi que le Chancelier allemand a salué l’engagement américain et a averti qu’un retrait des troupes US en Europe créerait un vide stratégique. Il a appelé à une meilleure coordination transatlantique.
Ce refus aurait fragilisé l’OTAN , car l’Europe devenait un acteur stratégique autonome, avec le risque de tensions en son sein entre les pays atlantistes et les autres plus souverains.
Il aurait nécessité la création d’une base industrielle et technologique de défense européenne plus forte qu’aujourd’hui et réduit la dépendance à l’Amérique .
Il aurait nécessité surtout un leadership que la France aurait pu assumer car seule puissance nucléaire indépendante en Europe, avec le Royaume-Uni, bien qu’ils soient dépendants des américains, mais politiquement nécessaire. Ce leadership avait peu de chance d’être accepte car l’Europe est aujourd’hui politiquement profondément divisée face à la posture américaine et au retour de Trump qui est un catalyseur des divisions entre les pro-Trump et les méfiants d’un Trump imprévisible, entre les États obéissants et les États réticents. Le résultat est la paralysie d’une défense européenne commune alors qu’elle aurait pu, et dû être, une chance.
6. Et l’Union Européenne que pouvait-elle faire, qu’a-t-elle fait ?
L’UE n’a pas formellement la compétence défense, mais elle a pratiquement les moyens d’agir, comme elle l’a fait pour la santé lors de la pandémie de la Covid 19 en procédant à des achats de vaccin en commun. Une première au niveau européen.
L’OTAN est une organisation militaire intergouvernementale, où seuls les États membres siègent. L’UE ne siège pas en tant qu’acteur à part entière dans les sommets de l’OTAN, même lorsqu’ils engagent directement ses membres, 23 sur 27. Les grands États européens parlent en leur nom, pas au nom de l’UE. Toutefois, comme lors de précédents sommets, la Présidente de la Commissions européenne et le Président du Conseil européen ont participé en tant qu’observateurs, sans droits de vote ni de rôle décisionnel.
Il faut souligner que depuis de sa création en 1945, l’OTAN repose sur le leadership américain : l’article 5 (défense collective) est garanti par les États Unis. Même si Trump a joué sur l’incertitude avant le sommet en déclarant « cela dépend de votre définition « pour ensuite apaiser les inquiétudes en affirmant « que les États Unis sont toujours avec vous «, ce qui n’était qu’une stratégie, une posture, une tension contrôlée qui avait pour but de faire peur, et d’influencer les européens, et il faut avouer que cela a fonctionné surtout à lire le message du secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, en réaction à ces déclarations. L’idée même d’une Europe indépendante stratégiquement est étrangère à la logique de l’OTAN, et parfois même perçue comme concurrente par Washington.
L’UE peut influencer par la diplomatie, les outils budgétaires et les programmes de sécurité. Si elle veut être un acteur stratégique crédible, il faudrait qu’elle assume une défense européenne autonome et plus qu’une présence symbolique. Il faudrait qu’elle se donne les moyens budgétaires dont elle ne dispose pas aujourd’hui, avec un budget de 180 milliards d’euros. La proposition faite par Thierry Breton, début 2024, d’emprunter 100 milliards d’euros pour doper l’industrie de défense européenne a été rétorqué par la Présidente.
La même proposition faite par Mario Draghi a connu le même sort. Une légère modification a été apportée au Pacte de stabilité et de croissance pour permettre aux États d’augmenter leurs dépenses de défense en dérogeant à ce pacte. Toutefois, avec le programme SAFE de 150 Milliards d’euros, l’UE va emprunter pour renforcer sa défense et prêter aux seuls États qui le souhaiteront.
Ainsi, l’UE avec les États européens naviguent entre la délégation de leur sécurité aux américains et l’urgence de renforcer leur autonomie stratégique surtout avec la guerre en Ukraine. Le choix reste toujours, et plus que jamais ouvert entre rupture et soumission. La France est le seul État qui peut opter pour la rupture.
Au sommet de l’OTAN de La Haye, selon la devise de l’Europe, les États membres sont restés « Unis dans la diversité ». Et pourtant, y a-t-il situations plus diverses au regard de la sécurité et de la menace de guerre que celles des Pays-Baltes, de la Pologne, des pays méditerranéens, de la France, de l’Allemagne et du Royaume Uni.
Conclusion.
Le sommet de l’OTAN de La Haye s’est conclu par un engagement majeur des membres à porter leurs dépenses militaires à 5% du PIB d’ici 2025 sous pression directe des États Unis et de Donald Trump après des déclarations ambigües de Trump sur la définition de l’article 5.
Pour Donald Trump, cette logique des 5% s’inscrit dans une vision profondément commerciale et transactionnelle des relations internationales. Il considère les alliances, ou la guerre, comme un marché ou les États Unis doivent être rémunérés pour leur rôle protecteur. La stratégie de Trump est simple, elle mêle :
⁃ Un deal politique : il utilise la pression budgétaire, ou douanière, pour faire céder ses alliés ou adversaires à ses vues,
⁃ Un deal géopolitique : il instrumentalisé la protection militaire comme un levier de puissance, alors quel les achats d’armements américains par les alliés financent indirectement la présence militaire des bases en Europe,
⁃ Un deal commercial : les pays achètent des équipements américains, stimulant l’industrie US, et qui financent aussi la présence des bases américaines en Europe,.
⁃ Un deal industriel -militaire : il renforce le complexe militaro-industriel américain tout en affaiblissant la concurrence européenne.
Cette logique transactionnelle ne se limite pas à l’OTAN. Trump l’a appliqué, ou annoncé vouloir l’appliquer, à d’autres crises majeures. Dans la solution à la guerre russo – ukrainienne, avec les terres rares, même au détriment de la souveraineté ukrainienne.
A Gaza, avec sa proposition de vouloir faire de cette région de la Palestine « la Côte d’Azur du moyen orient « comme il a déjà fait avec les accords d’Abraham entre Israël et l’Arabie saoudite. Il pourrait envisager de le faire entre Israël et l’Iran et les Pays du Golfe, dont le Quatar, en cherchant toujours un équilibre imposé, au nom de la stabilité et des intérêts américains. Mais, souvenons-nous le Général de Gaulle l’a déjà dit « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».