Financer la sécurité sociale : comment garantir la solidarité, et sauver ce trésor national, alors que l’on célèbre ses 80 ans ? par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne.
C’est le thème du colloque organisé par le Conseil d’Etat pour revenir sur l’évolution des comptes de la Sécurité sociale et d’évoquer les enjeux financiers inquiétants qui se profilent devant nous à court terme.
Les enjeux du financement de la sécurité sociale, une question structurante dès la conception de cette institution en 1945, et même bien avant, des 1910 avec la création du premier régime de retraite qui, déjà, ne faisait pas l’unanimité des organisations syndicales et des partis politiques du moment. Alors que le régime d’Alsace et Lorraine hérité de Bismarck en 1871 est aujourd’hui excédentaire !!!
L’histoire des cotisations sociales affectées à la sécurité sociale est profondément liée à l’évolution de l’Etat social et du système de retraite qui remonte au début du XXe siècle, donc bien avant 1945. Mais aujourd’hui, cette question est au croisement de la nécessité d’assurer la pérennité du système, en particulier face à des déficits récurrents qui atteignent un niveau record et des évolutions de court et long terme de la société, notamment sur les plans démographiques avec un mur démographique inéluctable dans les 20 prochaines années qui va accroître les besoins sanitaires et épidémiologiques avec la croissance de nombreuses pathologies : cancers, diabète, maladies cardiovasculaires, troubles psychiques et économiques qui se profilent devant nous.
Des 1910, un système de cotisation mal accepté a été mis en place avec la création d’un régime de retraite obligatoire pour les ouvriers du secteur privé et les paysans garantissant une pension minimale à 65ans mais peu en bénéficiait car la plupart mouraient avant. Les partis politiques de gauche apportent un soutien mitigé, les marxistes y sont opposés. Les conservateurs craignent une intervention excessive de l’Etat dans les affaires économiques.
En 1928-1930 est créé un régime d’assurances sociales (maladie, invalidité, vieillesse, maternité) financé par des cotisations des salariés et des employeurs. C’est un régime bismarckien contributif et professionnel. Le Front populaire y est favorable avec les syndicats ouvriers. Les partis de droite sont réservés sur l’extension des dépenses sociales.
Enfin, 1945, c’est la naissance de la Sécurité sociale, un système unifié en principe, qui repose sur les cotisations sociales : 2/3 employeurs, 1/3 salariés. Les prestations sont gérées par des caisses nationales paritaires, syndicats et employeurs, et les recouvrements par l’URSSAF. Les syndicats ouvriers sont favorables et prônent une gestion par les travailleurs. Les partis de gauche et chrétiens sont favorables. Les conservateurs sont réservés sur les coûts de gestion.
En 1967, les partis de gauche et les syndicats s’opposent à la gestion paritaire avec le patronat. Mais avec les années 1970-1990, la crise économique et le chômage affectent l’équilibre financier et nécessitent une réflexion sur de nouveaux financements avec la création de la CSG en 1991 ( adoptée par un 49-3) assise sur l’ensemble des revenus, y compris capital et pensions ,puis la CRDS pour rembourser la dette sociale et financer le déficit de la Sécurité sociale, enfin depuis les années 1997, c’est une fraction de la TVA ( impôt le plus productif) qui est affectée pour compenser des baisses de cotisations sociales notamment sur les bas salaires. Elle est affectée principalement à la CNAM. Ainsi, aujourd’hui, le lien contributif entre cotisations et droits s’affaiblit progressivement compensé par une diversification des ressources, dont une fiscalisation (CSG, taxes affectées, TVA) importante réduisant la dépendance aux seules cotisations sociales.
En 1990, les cotisations représentaient 90% du financement, aujourd’hui cette part est légèrement inférieure à 50%. Cette évolution reflète une volonté de réduire la charge pesant sur les revenus du travail. Alors qu’il est évoqué la création d’une « TVA sociale », il faut noter que déjà 28% des recettes de TVA, soit 57 milliards sont affectés à la Sécurité sociale. La « TVA sociale « imaginée en 2017 par Nicolas Sarkozy était appliquée seulement aux importations pour financer des baisses de cotisations allégeant les charges des entreprises et favorisant les exportations.
Depuis 1995, le système connaît de nombreuses réformes successives et des débats permanents sur les réformes des retraites : 1995, 2003, 2010, 2013, 2020, et 2023, avec l’allongement de la durée des cotisations, le recul de l’âge de la retraite, l’introduction d’un système à points. Et surtout, en 1996 la réforme constitutionnelle donne au Parlement un pouvoir budgétaire spécifique sur la Sécurité sociale avec la création des lois de financement de la Sécurité sociale dont l’objectif est de mieux maîtriser les comptes sociaux jusque-là en dehors du contrôle direct du Parlement. Le PLFSS fixe, chaque année, les objectifs de dépenses pour chaque branche et détermine les moyens de financement.
Enfin, ce tient actuellement un « conclave sur les retraites « réunissant les partenaires sociaux pour négocier ou tenter de débloquer la réforme sensible sur les retraites de 2023 en trouvant un compromis. Attendons de voir la couleur de la fumée qui en sortira d’ici quelques semaines.
Les déficits de la sécurité sociale encore proche de 11 Mds € en 2023 atteindraient près de 22 Mds € fin 2025(Cour des comptes) suscitent des inquiétudes quant à la soutenabilité du système, seules les branches famille et accidents du travail sont excédentaires, la branche autonomie- dépendance connaît une croissance rapide des besoins de financement du fait du vieillissement de la population et va nécessiter un financement structurel pérenne. La branche maladie a atteint en 2024 un déficit de 13,8 Mds €, un pic jamais atteint, en dehors de la période Covid, et qui va s’accroître car la progression « naturelle « de la dépense de santé dépasse chaque année celle des recettes de la Sécurité sociale.
Les déficits qui s’accumulent ne peuvent plus être gérés par-là CADES et l’ACCOS avec une dette cumulée qui atteint 138 Mds € en 2025 et une annuité de 17 Mds €, elle risque de se heurter à un problème de liquidités au regard de la taille des marchés de capitaux à court terme sur lequel elle se finance. Le défaut de paiement faute de liquidités est réel et peut se matérialiser des 2027 selon la Cour des comptes.
La persistance de ces déficits nécessite une action concertée pour assurer la pérennité du système de protection sociale français avec des réformes structurelles pour maîtriser les dépenses, optimiser les dépenses pour améliorer l’efficacité des services de santé et lutter contre la fraude, réviser les exonérations de cotisations sociales. Les solutions purement comptables et les facilités de court terme utilisées jusqu’à présent avec efficacité ne permettront pas de résoudre le problème financier ni de relever les défis qui se présentent à nous.
Pour sortir le système français de l’impasse financière dans laquelle il se trouve, il va falloir sortir crampons et piolets et gravir sa « face nord » par temps de très forte tempête met en garde le patron des hôpitaux de Paris (AP-HP). Il faut construire une nouvelle organisation du suivi des pathologies chroniques, faire le pari sur la qualité des soins pour améliorer l’attractivité des soignants et maîtriser les dépenses de santé. Il va falloir embarquer tous les acteurs, professionnels de santé libéraux ou hospitaliers et patients, dans une transformation stratégique structurelle de long terme qui devra être portée et assumée au plus haut niveau de l ‘Etat.
Alors que la « France intérieure » connaît les déficits, les alsaciens et lorrains bénéficient d’un régime d’assurance maladie spécifique hérité de Bismarck en 1871 après l’annexion, et qu’ils ont voulu conserver en 1918 après leur retour en France. Ce régime local est excédentaire, 40 à 50 millions d’euros, selon la CNAM. Il repose sur une cotisation salariale des actifs ,1,5%, une gestion décentralisée et locale rigoureuse des dépenses, une meilleure prévention et maîtrise des actes médicaux.
Ce modèle médical repose sur une logique contractuelle et paritaire entre les représentant des assurés, les professionnels de santé et les gestionnaires du régime. Cela favorise un meilleur encadrement des tarifs, des conventions locales plus strictes et moins de dérive dans les prescriptions. La culture médicale a été influencée par le système allemand, moins de recours systématique aux examens complémentaires inutiles, un rôle plus central du médecin traitant et moins de consultations redondantes.
Le régime de retraite en Alsace -Lorraine est le même que dans le reste de la France. Le régime général de la CNAV et le régime complémentaire Argic-Arrco s’appliquent aux alsaciens et lorrains.
Faut-il aller chercher chez nos compatriotes alsaciens et lorrains des solutions qui ont l’air de porter leurs fruits ? Peut-être et même certainement.